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cela humiliera son orgueil. S’ils se marient à la fin, elle sera sauvée d’un sort pire. Après tout, elle est un assez bon parti pour lui, et lui pour elle. »

Marc Wood était le laboureur malade de consomption dont j’ai déjà parlé. Il s’en allait maintenant rapidement. Miss Murray, par sa libéralité, obtint la bénédiction « de celui qui était près de mourir ; » car, quoique la demi-couronne lui fût inutile à lui, il fut content de la recevoir pour sa femme et ses enfants, qui allaient être sitôt, l’une veuve, les autres orphelins. Après être restée quelques minutes et avoir lu quelques passages, pour sa consolation et pour celle de sa femme affligée, je les quittai. Mais je n’avais pas fait cinquante pas, que je rencontrai M. Weston, se rendant probablement auprès du malade que je venais de quitter. Il me salua, s’arrêta pour s’enquérir de la position du malade et de sa famille, et sans cérémonie me prit des mains le livre dans lequel je venais de lire, tourna les feuillets, fit quelques remarques brèves et pleines de sens, et me le rendit ; il me parla ensuite de quelques pauvres malades qu’il venait de visiter, me donna des nouvelles de Nancy Brown, fit quelques observations sur mon ami le petit terrier qui sautillait à ses pieds et sur la beauté du temps, et partit.

J’ai omis de rapporter ses paroles en détail, parce que je pense qu’elles n’intéresseraient pas le lecteur comme elles m’intéressaient, mais non parce que je les ai oubliées. Oh ! non, je me les rappelle bien. J’ai réfléchi bien des fois depuis sur ces paroles ; je me souviens de chaque intonation de sa voix grave et claire ; de chaque étincelle de son œil vif et brun, de chaque rayon de son sourire agréable, mais trop passager. Une semblable confession, je le crains, paraîtra bien absurde ; mais que m’importe ! je l’ai écrite, et ceux qui la liront ne connaîtront pas l’écrivain.

Pendant que je revenais, heureuse et enchantée de tout ce qui m’entourait, miss Murray vint en courant à ma rencontre. Son pas léger, ses joues colorées, son sourire radieux, me montrèrent qu’elle aussi était heureuse à sa façon. Se précipitant vers moi, elle passa son bras sous le mien, et, sans prendre le temps de respirer, elle commença :

« Miss Grey, tenez-vous pour fort honorée, car je vais vous raconter mes nouvelles avant d’en avoir soufflé un mot à qui que ce soit.

— Eh bien ! qu’y a-t-il ?