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bien que pour complaire à la prière de sa mère je me fusse constituée pour quelque temps la compagne de ses excursions, elle persistait toujours à se diriger du côté des champs et des prairies qui bordaient la route ; et, soit qu’elle me parlât, soit qu’elle lût le livre qu’elle tenait à la main, elle s’arrêtait à chaque instant pour regarder autour d’elle, ou jeter un coup d’œil sur la route pour voir si personne ne venait ; et, si un homme à cheval venait à passer, je voyais par la façon dont elle le traitait, quel qu’il fût, qu’elle le haïssait parce qu’il n’était pas M. Hatfield.

« Assurément, pensai-je, elle n’est pas aussi indifférente pour lui qu’elle le croit ou qu’elle voudrait le persuader aux autres ; et l’inquiétude de sa mère n’est pas tout à fait sans cause, ainsi qu’elle l’affirme. »

Trois jours se passèrent, et il ne parut pas. Dans l’après-midi du quatrième, comme nous marchions le long de la barrière du parc, dans le champ mémorable, avec chacune un livre à la main (car j’avais soin de toujours me munir de quelque chose pour m’occuper dans les moments où elle ne me demandait pas de causer avec elle), elle interrompit tout à coup mes études en s’écriant :

« Oh ! miss Grey, soyez donc assez bonne pour aller voir Marc Wood, et remettre à sa femme une demi-couronne de ma part. J’aurais dû la lui remettre ou la lui envoyer il y a une semaine, mais j’ai complètement oublié. Voilà, dit-elle en me jetant sa bourse et en parlant avec beaucoup de précipitation. Ne vous donnez pas la peine d’ouvrir la bourse maintenant, emportez-la et donnez-leur ce que vous voudrez ; je voudrais pouvoir aller avec vous, mais il faut que je finisse ce volume. J’irai à votre rencontre quand j’aurai fini. Allez vite, et… oh ! attendez… Ne vaudrait-il pas mieux aussi lui faire un bout de lecture ? Courez à la maison et prenez quelque bon livre. Le premier venu fera l’affaire. »

Je fis ce qu’elle désirait ; mais, soupçonnant quelque chose d’après sa précipitation et l’imprévu de la requête, je regardai derrière moi avant de quitter le champ, et je vis M. Hatfield s’avancer de son côté. En m’envoyant prendre un livre à la maison, elle m’avait empêché de le rencontrer sur la route.

« Bah ! pensai-je, il n’y aura pas grand mal de fait. Le pauvre Marc sera bien content de la demi-couronne, et peut-être du bon livre aussi ; et, si le recteur vole le cœur de miss Rosalie,