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il y eut un temps où je pensais comme vous ; au moins étais-je pleinement persuadé que la famille et ses affections étaient les seules choses qui pussent rendre l’existence tolérable ; que si l’on s’en trouvait privé, la vie deviendrait un fardeau lourd à porter. Maintenant je n’ai pas de maison, à moins que vous n’appeliez de ce nom les deux chambres que je loue à Horton ; et il n’y a pas un an que j’ai perdu mon dernier et mon plus ancien ami ; et pourtant non-seulement je vis, mais je ne suis pas totalement dénué d’espoir et de bonheur, même pour cette vie, quoique je reconnaisse que je n’entre jamais dans une humble chaumière, à la chute du jour, lorsque ses paisibles habitants sont réunis autour du foyer, sans éprouver un sentiment d’envie de leur bonheur.

— Vous ne savez pas encore quel bonheur vous attend, dis-je ; vous n’êtes qu’au début de votre voyage.

— Le plus grand des bonheurs m’appartient déjà, répondit-il : le pouvoir et la volonté d’être utile. »

Nous arrivions près d’une barrière communiquant avec un sentier qui conduisait à une ferme, où je supposai que M. Weston avait dessein de se rendre utile ; car il prit congé de moi, passa la barrière, et suivit le sentier de ce pas ferme et léger qui lui était habituel, me laissant réfléchir sur ses paroles en continuant seule ma route. J’avais entendu dire qu’il avait perdu sa mère quelques mois avant son arrivée à Horton. C’était donc elle qui était « ce dernier et plus cher de ses amis, » et il n’avait plus de famille. Je le plaignis du fond de mon cœur ; je pleurai presque de sympathie. Cela expliquait, selon moi, cet air soucieux qui obscurcissait si souvent son front, et qui lui avait valu auprès de la charitable miss Murray la réputation d’avoir un caractère morose et sévère. « Mais, pensai-je, il n’est pas aussi malheureux que je le serais après une telle perte : il mène une vie active ; il a devant lui un vaste champ pour se rendre utile ; il peut se faire des amis, et il peut se donner une famille s’il le veut, et sans doute il le voudra un jour. Que Dieu lui accorde une compagne digne de son choix, et que le bonheur habite sa maison ! Oh ! quelle joie ce serait pour… »

Mais peu importe à quoi je pensai.

J’ai commencé ce livre avec l’intention de ne rien cacher, afin que ceux qui le voudraient pussent lire dans le cœur d’une de leurs semblables ; mais nous avons des pensées que nous ne voudrions laisser voir qu’aux anges du ciel, et non à