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future destinée meilleure, s’élevèrent en moi. Comme mes yeux erraient sur les talus escarpés couverts d’herbes naissantes, de plantes au vert feuillage, et surmontés de haies, je me mis à désirer vivement quelque fleur familière qui pût me rappeler les vallées boisées et les vertes collines du pays natal : les sombres marais, tout naturellement, étaient hors de question. Une telle découverte eût rempli mes yeux de larmes, sans doute ; mais c’était alors un de mes plus grands plaisirs. À la fin je découvris, à un endroit élevé, entre les racines tordues d’un chêne, trois belles primevères, sortant si doucement de leur cachette, que mes larmes coulèrent à leur vue ; mais elles étaient situées si haut, que j’essayai en vain d’en cueillir une ou deux pour rêver sur elles et les emporter : je ne pouvais les atteindre sans grimper sur le talus, ce que je fus empêchée de faire en entendant des pas derrière moi, et j’allais m’en aller, quand je tressaillis à ces mots : « Permettez-moi de les cueillir pour vous, miss Grey, » dits d’une voix grave bien connue. Aussitôt les fleurs furent cueillies et dans ma main. C’était M. Weston, tout naturellement ; quel autre se fût donné la peine d’en faire autant pour moi ?

Je le remerciai ; avec chaleur ou froidement, je ne pourrais le dire : mais je suis sûre que je n’exprimai pas la moitié de la gratitude que je ressentais. C’était folie, peut-être, de ressentir de la gratitude pour cela ; mais il me semblait alors que c’était un remarquable exemple de sa bonne nature, un acte de complaisance que je ne pouvais récompenser, mais que je n’oublierais jamais, tant j’étais peu accoutumée à recevoir de telles marques de politesse ! tant j’étais peu préparée à en attendre de qui que ce fût à Horton-Lodge et à cinquante milles à la ronde ! Pourtant cela ne m’empêcha pas d’éprouver un sentiment de contrainte en sa présence, et je me hâtai de presser le pas pour rejoindre mes élèves, quoique j’eusse été fâchée que M. Weston me laissât passer sans m’adresser d’autres paroles. Mais une marche rapide pour moi n’était qu’un pas ordinaire, pour lui.

« Vos jeunes ladies vous ont laissée seule ? dit-il.

— Oui ; elles sont occupées d’une plus agréable compagnie.

— Alors, ne vous donnez pas tant de peine pour les rattraper. »

Je ralentis le pas, mais un instant après je m’en repentis : mon compagnon ne parlait point ; je ne trouvais absolument