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un peu de vanité. Je sais que vous me regardez comme une fille frivole et engouée d’elle-même ; mais je n’attribue pas tout à mes attraits personnels. Je fais la part de mon coiffeur, et aussi un peu celle de mon exquise toilette, vous la verrez demain, gaze blanche sur satin rose, et si délicieusement faite ! et le collier, et les bracelets de belles et grosses perles !

— Je ne mets pas en doute que vous ne fussiez charmante ; mais est-ce que cela seulement vous fait tant de plaisir ?

— Oh ! non. Non pas cela seul : mais j’étais si admirée, et j’ai fait tant de conquêtes dans cette seule nuit, vous en serez étonnée…

— Mais quel bien cela peut-il vous faire ?

— Quel bien ? Est-ce qu’une femme peut demander cela ?

— Il me semble qu’une seule conquête est assez, trop même, si elle n’est pas mutuelle.

— Oh ! vous savez que je ne serai jamais d’accord avec vous sur ces points. Attendez un peu, et je vais vous nommer mes principaux admirateurs, ceux qui se sont montrés les plus empressés à cette soirée et aux suivantes, car nous en avons eu deux depuis. Malheureusement les deux nobles, lord G… et lord R…, sont mariés ; sans cela j’aurais pu daigner me montrer aimable pour eux, ce que je n’ai pas fait : et pourtant lord R…, qui déteste sa femme, était évidemment fasciné par moi. Il me demanda deux fois de danser avec lui, c’est un charmant danseur, par parenthèse, et moi je danse aussi fort bien ; vous ne pouvez vous imaginer comme je dansai bien ce soir-là, j’en étais étonnée moi-même. Mon lord était très-complimenteur aussi, peut-être même trop ; mais j’avais le plaisir de voir sa maussade et méchante femme prête à mourir de dépit.

— Oh ! miss Murray, vous ne pouvez dire qu’une telle chose ait pu vous causer du plaisir. Quelque méchante ou…

— Eh bien, je sais que c’est mal ; n’y pensez plus ! Je serai bonne une autre fois ; seulement ne me faites pas de sermons aujourd’hui : me voilà bonne créature maintenant. Je ne vous ai pas encore dit la moitié de ce que j’ai à vous dire ; laissez-moi voir. Oh ! j’allais vous dire combien d’admirateurs j’avais : sir Thomas Ashby en était un, sir Hugues Meltham et sir Broadley Wilson sont de vieux cajoleurs, bons seulement à tenir compagnie à papa et à maman. Sir Thomas est jeune, riche et gai, mais une laide bête pourtant, quoique maman