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franchir une barrière de cinq échelons aussi facilement que « cligner de l’œil, » que papa avait dit qu’elle pourrait chasser la première fois que l’on rassemblerait les chiens ; et que maman avait commandé pour elle un bel habit de chasse écarlate.

« Oh ! Mathilde, quelles histoires vous contez là ! s’écria sa sœur.

— Oui, répondit-elle, sans être le moins du monde déconcertée, je sais que je pourrais franchir une barrière à cinq échelons, si je l’essayais, et papa dira que je puis chasser, et maman commandera l’habit quand je le lui demanderai.

— Allons ! continuez, répliqua miss Murray, et tâchez, chère Mathilde, d’être un peu plus convenable. Miss Grey, je voudrais que vous pussiez lui dire de ne pas employer ces mots choquants : elle appelle son cheval une jument, c’est d’un mauvais goût inconcevable ; puis elle se sert de si horribles expressions pour la décrire, il faut qu’elle les ait apprises des grooms. Cela me fait presque tomber en syncope quand je l’entends.

— Je les ai apprises de papa, ânesse que vous êtes, et de ses amis, dit la jeune lady en faisant siffler vigoureusement une cravache qu’elle avait ordinairement à la main. Je suis aussi bon juge des qualités d’un cheval que le meilleur d’entre eux.

— Allons ! finissez, petite fille mal élevée ! Je vais me trouver mal si vous continuez ainsi. Maintenant, miss Grey, écoutez-moi ; je vais vous raconter le bal. Je sais que vous mourez d’envie d’en entendre le récit. Oh ! quel bal ! Vous n’avez jamais vu ni rêvé rien de pareil en votre vie. Les décorations, les rafraîchissements, le souper, la musique, étaient indescriptibles ! Et les invités ! Il y avait deux nobles, trois baronnets, cinq ladies titrées, et d’autres ladies et gentlemen en quantité innombrable. Les ladies, naturellement, m’importaient peu, excepté pour me réjouir en voyant combien la plupart étaient laides et gauches auprès de moi. Les plus belles d’entre elles, m’a dit maman, n’étaient rien, comparées à moi. Je suis fâchée que vous ne m’ayez pas vue, miss Grey ! J’étais charmante ! N’est-ce pas, Mathilde ?

— Médiocrement.

— Non, j’étais réellement charmante, du moins maman l’a dit, et aussi Brow et Williamson. Brow m’a affirmé qu’aucun gentleman ne pourrait jeter les yeux sur moi sans tomber amoureux de moi à la minute ; je puis donc bien me permettre