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troublées par une sensation de langueur et de malaise, et par la crainte de me trouver plus mal. Une migraine me tenait ordinairement compagnie tout le reste du jour, qui, sans cela, eût été un jour de repos bienfaisant, de saint et calme plaisir.

« C’est bien singulier, miss Grey, que la voiture vous rende toujours malade ; elle ne me produit jamais le même effet, dit un jour miss Mathilde.

— Ni moi, dit sa sœur ; mais il n’en serait pas de même, je ne crains pas de le dire, si j’étais assise au même endroit qu’elle. C’est une affreuse place, miss Grey, et je m’étonne que vous puissiez y rester.

— J’y suis bien obligée, puisque je n’ai pas le choix, aurais-je pu répondre ; mais, pour ne leur point faire de peine, je me bornai à dire : « Oh ! la route est très-courte, et, si je ne suis pas malade à l’église, je n’y pense plus. »

Si l’on me demandait une description des divisions habituelles et des arrangements du jour, je trouverais la chose fort difficile. Je prenais tous mes repas dans la salle d’étude, avec mes élèves, à l’heure qui convenait à leur caprice : quelquefois ils sonnaient pour le dîner avant qu’il fût à moitié cuit ; d’autres fois, ils le laissaient sur la table pendant plus d’une heure, puis ils se mettaient en colère parce que les pommes de terre étaient froides, et le jus couvert d’une couche de graisse refroidie ; quelquefois ils voulaient que le thé fût servi à quatre heures ; souvent ils grondaient les domestiques parce qu’il n’était pas servi à cinq heures précises. Et lorsque ces ordres étaient exécutés, par manière d’encouragement à la ponctualité, ils le laissaient sur la table jusqu’à sept ou huit heures.

Il en était à peu près de même pour les heures d’étude ; mon jugement et mes convenances n’étaient jamais consultés. Quelquefois Mathilde et John décidaient que toute la besogne serait faite avant le déjeuner, et envoyaient la servante me faire lever à cinq heures et demie ; quelquefois on me faisait dire d’être prête à six heures précises, et, après m’être habillée à la hâte, je descendais dans une chambre vide, j’attendais longtemps et je m’apercevais qu’ils avaient changé d’idée et étaient encore au lit ; ou même, si c’était par un beau matin d’été, Brown venait me dire que les jeunes ladies et les gentlemen avaient pris vacances et étaient sortis : dans ce cas, on me faisait attendre mon déjeuner jusqu’à ce que je fusse prête à me trouver mal, mes élèves ayant fortifié leur estomac avant de sortir.