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essais de nature à produire le plus d’effet possible sans grand travail, et dont les parties principales étaient généralement exécutées par moi. Pour la musique et le chant, outre mes instructions, elle avait les leçons des meilleurs professeurs du pays, et dans ces arts, aussi bien que dans la danse, elle devint assurément fort habile. Elle donnait beaucoup trop de temps à la musique, ainsi que je le lui disais ; mais sa mère pensait que, si elle l’aimait, elle ne pouvait consacrer trop de temps à l’acquisition d’un art si attrayant. Pour ce qui était du travail de fantaisie, je ne savais autre chose que ce que j’avais appris de mes élèves et par ma propre observation ; mais je ne fus pas plutôt initiée qu’elle m’utilisa de différentes façons : toutes les parties ennuyeuses du travail me furent jetées sur les épaules : comme tendre les métiers, piquer les canevas, assortir les laines et les soies, faire les fonds, compter les points, rectifier les erreurs, et finir les pièces dont elle était fatiguée.

À seize ans, miss Murray aimait encore à badiner, pas plus pourtant qu’il n’est naturel et permis à une jeune fille de cet âge ; mais à dix-sept ans, cette propension, comme toute autre chose, fit place à la passion dominante, et fut bientôt absorbée par le désir d’attirer et d’éblouir l’autre sexe. Mais en voilà assez sur elle ; arrivons à sa sœur.

Miss Mathilde Murray était une véritable fillette dont il y a peu de chose à dire. Elle était d’environ deux ans et demi plus jeune que sa sœur ; ses traits étaient plus larges, son teint plus brun. Elle promettait d’être un jour une belle femme, mais elle avait les os trop gros et était trop rustique pour faire une jolie fille, ce dont elle se préoccupait peu. Rosalie connaissait tous ses charmes et les croyait même plus grands qu’ils n’étaient ; elle les estimait plus qu’elle n’eût dû le faire, eussent-ils été trois fois plus grands. Mathilde pensait qu’elle était assez bien, mais se préoccupait peu de ce sujet ; encore moins se souciait-elle de cultiver son esprit et d’acquérir des talents d’agrément. La façon dont elle étudiait ses leçons et exécutait sa musique était faite pour désespérer toutes ses gouvernantes. Si aisées et si courtes que fussent ses leçons, elle ne pouvait les apprendre, si elle les apprenait, avec régularité et dans le temps voulu ; elle les apprenait dans le temps le moins convenable et de la façon la moins utile pour elle et la moins agréable pour moi. La petite demi-heure de pratique était horriblement gaspillée. Elle en passait une partie à m’invectiver,