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serez de vous dire tout cela ; mais le fait est que j’ai jusqu’ici trouvé toutes les gouvernantes, même les meilleures, en défaut sur ce point. Elles manquaient de cet esprit doux et calme que saint Matthieu, ou tout autre évangéliste, dit être meilleur que… vous savez bien le passage auquel je fais allusion, car vous êtes la fille d’un ecclésiastique. Mais je ne doute pas que vous ne me donniez satisfaction sur ce point aussi bien que sur tout le reste. Dans toute occasion, s’il arrivait que l’un de vos élèves fît quelque chose d’inconvenant, et que la persuasion et les douces remontrances fussent impuissantes, envoyez-moi chercher par un autre ; car je puis leur parler plus librement qu’il ne serait convenable pour vous de le faire. Rendez-les le plus heureux que vous pourrez, miss Grey, et je ne crains pas de dire que vous réussirez très-bien. »

Je remarquai que, pendant que mistress Murray se montrait si remplie de sollicitude pour le bien-être et le bonheur de ses enfants, dont elle parlait constamment, elle ne dit jamais un mot de mon bien-être et de mon bonheur à moi. Pourtant ils étaient dans la maison paternelle, entourés de parents et d’amis, et moi, j’étais étrangère au milieu d’étrangers ; je ne connaissais pas encore assez le monde pour n’être point considérablement surprise de cette anomalie.

Miss Murray, autrement Rosalie, avait environ seize ans à mon arrivée, et était une fort jolie fille. En deux années, le temps développant ses formes et ajoutant de la grâce à ses manières et à sa démarche, elle devint positivement belle. Elle était grande et mince sans être maigre, ses formes étaient d’une délicatesse exquise, et pourtant elle avait les couleurs fraîches et roses de la santé ; ses cheveux, qu’elle portait en longues boucles, étaient abondants et d’un châtain clair inclinant au jaune ; ses yeux étaient d’un bleu pâle, mais si limpides et si brillants, qu’on ne les eût pas voulus d’une couleur plus foncée ; ses traits, du reste, étaient petits, et sans être tout à fait réguliers, on ne pouvait dire qu’ils ne l’étaient pas. En somme, on ne pouvait s’empêcher de la proclamer une fort jolie fille. Je voudrais pouvoir dire de son esprit et de son caractère ce que je viens de dire de sa personne et de son visage.

N’allez pas croire pourtant que j’aie quelque effroyable révélation à faire : elle était vive et gaie, et pouvait être fort agréable avec ceux qui ne contrariaient pas ses volontés. À mon égard, elle fut d’abord froide et hautaine, puis insolente