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gants parvenus. J’ai connu des gentlemen du rang le plus élevé, qui traitaient leur gouvernante comme une personne de la famille ; bien qu’il y en ait aussi, j’en conviens, d’aussi insolents et d’aussi exigeants que puissent être ceux dont vous avez fait l’expérience, car il y a des bons et des mauvais dans toutes les classes. »

L’avis fut promptement écrit et expédié. Des deux familles qui répondirent, une seule consentit à me donner cinquante guinées, la somme que ma mère m’avait fait fixer comme salaire. J’hésitais à m’engager, craignant que les enfants ne fussent trop grands, et que les parents ne voulussent une personne qui représentât davantage, ou plus expérimentée, sinon plus instruite que moi. Mais ma mère combattit mes craintes : je m’en tirerais fort bien, me dit-elle, si je voulais me défaire de ma timidité et prendre un peu plus de confiance en moi-même. Je n’avais qu’à donner une explication claire et vraie de mes talents et de mes titres, stipuler les conditions, puis attendre le résultat. La seule condition que je proposai fut d’avoir deux mois de vacances dans l’année pour visiter mes amis : au milieu de l’été et à Noël. La dame inconnue répondit qu’elle ne faisait à cela aucune objection ; que, pour l’instruction, elle ne doutait pas que je ne fusse capable de lui donner toute satisfaction ; mais, selon elle, ce point n’était que secondaire, car, habitant près de la ville d’O…, elle pouvait se procurer facilement des maîtres pour suppléer à ce qui me manquerait. Dans son opinion, une moralité parfaite, un caractère doux, gai et obligeant, étaient les choses les plus nécessaires.

Ma mère n’aimait pas beaucoup tout cela, et me fit alors beaucoup d’objections, dans lesquelles ma sœur se joignit à elle. Mais, ne voulant pas être désappointée de nouveau, je surmontai leurs résistances, et, après avoir obtenu le consentement de mon père, auquel on avait, peu de temps auparavant, donné connaissance du projet, j’écrivis à ma correspondante inconnue une très-belle épître, et le marché fut conclu.

Il fut décidé que, le dernier jour de janvier, je prendrais possession de mes nouvelles fonctions de gouvernante dans la famille de M. Murray, d’Horton-Lodge, près d’O…, à environ soixante-dix milles de notre village, distance formidable pour moi, qui, pendant mon séjour de vingt ans sur cette