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depuis ce moment elle devint aussi gracieuse, aussi bienveillante qu’on pouvait le désirer, en apparence du moins. D’après ce que je connaissais d’elle, et ce que j’entendais dire par les enfants, je savais que, pour gagner sa cordiale amitié, il me suffisait de prononcer un mot de flatterie toutes les fois que l’occasion s’en présenterait ; mais cela était contre mes principes, et, faute de le faire, je me vis bientôt de nouveau privée de la faveur de la capricieuse vieille dame, et je crois qu’elle me fit secrètement beaucoup de mal.

Elle ne pouvait avoir grande influence contre moi auprès de sa belle-fille, car entre celle-ci et elle il existait une mutuelle aversion, qui se trahissait chez la vieille lady par de secrètes médisances ou par des calomnies ; chez la jeune, par une froideur excessive de manières ; aucune flatterie ne pouvait fondre le mur de glace que mistress Bloomfield avait élevé entre elle et sa belle-mère. Mais celle-ci avait plus de succès auprès de son fils. Pourvu qu’elle pût adoucir son caractère agité, et ne pas l’irriter par les aspérités de son caractère à elle, il écoutait tout ce qu’elle voulait lui dire, et j’ai toute raison de croire qu’elle augmenta considérablement les préventions qu’il avait contre moi. Elle lui disait sans doute que je négligeais honteusement les enfants, et que sa femme même ne veillait pas sur eux comme elle aurait dû le faire ; qu’il fallait qu’il fît lui-même attention à eux, ou qu’ils se perdraient tous.

Ainsi excité, il se donnait fréquemment le souci de les surveiller de la fenêtre pendant leurs jeux ; quelquefois il les suivait à travers le jardin et le parc, et souvent tombait sur eux au moment où ils barbotaient dans la mare défendue, ou parlaient au cocher dans l’écurie, ou se vautraient dans l’ordure au milieu de la cour de la ferme, pendant que je les regardais faire, épuisée par les vains efforts que j’avais faits pour les ramener. Souvent aussi il lui arrivait de se montrer tout à coup dans la salle d’étude au moment des repas, et de les trouver répandant leur lait sur la table et sur eux-mêmes, plongeant leurs doigts dans leur tasse, ou se querellant à propos de leurs aliments comme de petits tigres. Si j’étais tranquille dans ce moment, je favorisais leur conduite désordonnée ; si, ce qui arrivait souvent, j’élevais la voix pour rétablir l’ordre, j’usais de violence et donnais aux petites filles un mauvais exemple par une semblable vulgarité de ton et de langage.

Je me souviens d’une après-midi de printemps, où, à cause