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plétement changé mes idées sur elle. Maintenant, je la considérais comme une hypocrite et une dissimulée, une flatteuse, une espionne de mes paroles et de mes actes. Sans doute, il eût été de mon intérêt de l’accueillir avec le même sourire, avec la même cordialité respectueuse qu’auparavant ; mais je ne le pouvais pas, l’eussé-je voulu. Mes manières s’altérèrent avec mes sentiments, et devinrent si froides et si réservées qu’elle ne pouvait manquer de s’en apercevoir. Elle s’en aperçut bientôt, et ses manières changèrent aussi : le signe de tête familier devint un salut roide, le gracieux sourire fit place à un regard de Gorgone ; sa loquacité m’abandonna tout à fait pour « le petit garçon et la petite fille chéris, » qu’elle se mit à flatter et à gâter plus que leur mère n’avait jamais fait.

Je confesse que je fus un peu troublée à ce changement : je craignais les conséquences de son déplaisir ; je fis même quelques efforts pour regagner le terrain que j’avais perdu, et avec plus de succès apparent que je n’eusse pu l’espérer. Une fois, comme par pure civilité, je m’informai de sa toux ; immédiatement son long visage s’illumina d’un sourire, et elle me raconta l’histoire de cette infirmité et des autres, histoire suivie du récit de sa pieuse résignation, dans ce style emphatique et déclamatoire que la plume ne peut rendre.

« Mais il y a un remède pour tout, ma chère, c’est la résignation (un mouvement de tête), la résignation à la volonté du ciel (élévation des mains et des yeux). Elle m’a toujours soutenue dans mes épreuves, et elle me soutiendra toujours (suite de mouvements de tête). Tout le monde n’en peut dire autant (mouvement de tête) ; mais je suis une de ces pieuses personnes, miss Grey (mouvement de tête très-significatif) ; et grâce au ciel, je l’ai toujours été, et je m’en fais gloire ! (joignant les mains avec ferveur). » Et avec plusieurs textes de l’Écriture, mal cités ou mal appliqués, et des exclamations religieuses si singulières par la façon dont elles étaient dites, sinon par les expressions elles-mêmes, que je ne veux pas les répéter, elle se retira, agitant sa grosse tête très-satisfaite d’elle-même, et me laissant espérer qu’après tout elle était peut-être plutôt faible que méchante.

À sa première visite à Wellwood-House, j’allai jusqu’à exprimer ma joie de lui voir si bonne mine. L’effet fut magique ; mes paroles, qui n’étaient qu’une marque de politesse, furent prises pour un compliment flatteur. Son visage s’illumina, et