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belles turbulents et malfaisants, qu’aucun effort ne peut attacher à leurs devoirs, pendant que vous êtes responsable de leur conduite envers des parents qui vous refusent toute autorité. Je ne connais pas de situation comparable à celle de la pauvre gouvernante qui, désireuse de réussir, voit tous ses efforts réduits à néant par ceux qui sont au-dessous d’elle, et injustement censurés par ceux qui sont au-dessus.

Je n’ai pas énuméré tous les détestables penchants de mes élèves, ni la moitié des déboires résultant de ma responsabilité, dans la crainte d’abuser de la patience du lecteur, comme je l’ai peut-être déjà fait ; mais mon but en écrivant ces quelques dernières pages n’était point d’amuser, mais d’être utile : celui pour qui ces matières ne sont d’aucun intérêt les aura peut-être lues à la hâte et en maudissant la prolixité de l’écrivain ; mais si des parents y ont puisé quelques notions utiles et si une malheureuse gouvernante en a retiré le plus mince avantage, je suis bien récompensée de mes peines.

Pour éviter l’embarras et la confusion, j’ai pris mes élèves un par un et j’ai exposé leurs diverses qualités ; mais cela ne peut donner l’idée du mal qu’ils me faisaient tous les trois ensemble, quand, ainsi qu’il arrivait souvent, tous étaient déterminés à être méchants, à tourmenter miss Grey et à la faire mettre en colère.

Quelquefois, dans ces occasions, cette pensée se présentait tout à coup à mon esprit : « Si mes parents pouvaient me voir en ce moment !… » Et l’idée qu’ils n’auraient pu s’empêcher d’avoir pitié de moi me faisait me plaindre moi-même, au point que j’avais peine à retenir mes larmes. Mais je me contenais jusqu’à ce que mes petits bourreaux fussent descendus pour le dessert, ou qu’ils fussent couchés, et je pleurais sans contrainte. Toutefois c’était là une faiblesse que je me permettais rarement ; mes occupations étaient trop nombreuses, mes moments de loisir trop précieux, pour que je pusse consacrer beaucoup de temps à d’inutiles lamentations.

Je me souviens tout particulièrement d’une triste et neigeuse après-midi, peu de temps après mon retour, en janvier. Les enfants étaient tous remontés bruyamment après le dîner, déclarant qu’ils voulaient être méchants, et ils avaient bien tenu leur promesse, quoique j’eusse fatigué tous les muscles de mon larynx dans un vain effort pour leur faire entendre raison. J’avais cloué Tom dans un coin, lui disant qu’il ne s’échapperait