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dans l’obscurité, plus étonnée que de tout le reste par cette dernière preuve d’obstination insensée. Dans mon enfance je ne pouvais imaginer une punition plus cruelle que le refus de ma mère de m’embrasser le soir. L’idée seule en était terrible. Je n’en eus, il est vrai, jamais que l’idée, car heureusement je ne commis jamais de faute qui fût jugée digne d’une telle punition ; mais je me souviens qu’une fois, pour une faute de ma sœur, notre mère jugea à propos de la lui infliger : ce que ma sœur ressentit, je ne pourrais le dire ; mais je n’oublierai jamais les pleurs que je répandis pour elle.

Un autre défaut de Mary-Anne était son incorrigible propension à courir dans la chambre des nourrices pour jouer avec ces dernières et avec ses plus jeunes sœurs. Cela était assez naturel ; mais, comme c’était contraire au désir formellement exprimé de sa mère, je lui défendais de le faire, et faisais tout ce que je pouvais pour la retenir avec moi ; mais je ne parvenais qu’à accroître son désir d’aller auprès des nourrices, et plus je cherchais à l’en empêcher, plus elle y allait et plus longtemps elle y restait, à la grande contrariété de mistress Bloomfield, qui, je le savais, m’imputerait tout le blâme. Une autre de mes épreuves était de l’habiller le matin : tantôt elle ne voulait pas être lavée, tantôt elle ne voulait pas être habillée autrement qu’avec certaine robe que sa mère ne voulait point qu’elle portât. D’autres fois, elle poussait des cris et se sauvait si je voulais toucher à ses cheveux : de façon que souvent, lorsque après beaucoup d’efforts et d’ennuis j’étais parvenue à la faire descendre, le déjeuner était presque fini, et les regards sombres de maman, les observations aigres de papa, dirigés contre moi, sinon à moi directement adressés, ne manquaient pas d’être mon partage ; car rien n’irritait tant M. Bloomfield que le défaut de ponctualité aux heures des repas. Puis, au nombre de mes ennuis de second ordre, était mon incapacité de contenter mistress Bloomfield dans l’habillement de sa fille ; les cheveux de l’enfant « n’étaient jamais présentables. » Quelquefois, comme un puissant reproche à mon adresse, elle accomplissait elle-même l’office de dame d’atour, puis se plaignait amèrement du trouble que cela lui donnait.

Quand la petite Fanny vint dans la salle d’étude, j’espérai qu’elle serait au moins douce et inoffensive ; mais quelques jours, si ce n’est quelques heures, suffirent pour détruire cette illusion. Je trouvai en elle une malfaisante et indocile petite