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vaient les vaincre, et matin et soir j’implorais la Providence dans ce but. Mais, soit que les enfants fussent absolument incorrigibles, les parents déraisonnables, moi trompée dans mes plans ou incapable de les mettre à exécution, mes meilleures intentions et mes plus vigoureux efforts ne me parurent produire d’autre effet que la risée des enfants, le mécontentement des parents et beaucoup de tourment pour moi.

Ma tâche était aussi ardue pour le corps que pour l’esprit. Il me fallait courir après mes élèves pour les saisir, les amener ou les traîner à la table, et souvent les retenir là de force jusqu’à ce que la leçon fût finie. Je poussais fréquemment Tom dans un coin, m’asseyant devant lui sur une chaise, tenant dans la main le livre qui contenait le petit devoir qu’il devait réciter ou lire avant d’être mis en liberté. Il n’était pas assez fort pour me renverser avec ma chaise ; aussi il restait là, se démenant et faisant les contorsions les plus singulières, risibles sans doute pour tout spectateur désintéressé, mais non pour moi, et poussant des hurlements et des cris lamentables qu’il voulait faire passer pour des pleurs, mais sans l’accompagnement de la moindre larme. Je savais que tout cela n’avait d’autre but que de me tourmenter, et, quoique intérieurement je tremblasse d’impatience et d’irritation, je m’efforçais de ne laisser paraître aucun signe de contrariété, et d’attendre avec une calme indifférence qu’il lui plût de cesser sa comédie et d’obtenir sa liberté en jetant les yeux sur le livre ou en récitant les quelques mots que je lui demandais. Quelquefois il lui prenait fantaisie de mal écrire, et il me fallait lui tenir la main pour l’empêcher de salir à dessein son papier. Souvent je le menaçais, s’il ne faisait pas mieux, de lui donner une autre ligne ; alors il refusait obstinément d’écrire la première ; et, pour tenir ma parole, il me fallait finalement lui tenir la main sur la plume et la lui conduire jusqu’à ce que la ligne fût écrite.

Et pourtant Tom n’était pas le plus ingouvernable de mes élèves : quelquefois, à mon grand contentement, il avait le bon sens de voir que le plus sage parti était de terminer sa tâche, pour sortir et s’amuser jusqu’à ce que moi et sa sœur allassions le rejoindre, ce qui souvent n’avait pas lieu, car Mary-Anne ne suivait guère son exemple sous ce rapport ; il paraît que l’amusement qu’elle préférait à tous les autres était de se rouler sur le parquet. Elle se laissait tomber comme une balle de plomb, et