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lit, j’appelai sur elle et sur mes parents la bénédiction de Dieu avec plus de ferveur que je ne l’avais jamais fait. Pour ne pas laisser voir mon émotion, je cachai mon visage dans mes mains, qui furent à l’instant baignées de pleurs. Je m’aperçus, en me relevant, qu’elle avait pleuré aussi ; mais nous ne parlâmes ni l’une ni l’autre, et nous nous couchâmes en silence, nous serrant plus étroitement l’une contre l’autre, à l’idée que nous allions sitôt nous séparer.

Mais le matin ramena l’espérance et le courage. Je devais partir de bonne heure, afin que la voiture qui devait me conduire (le cabriolet de M. Smith, drapier, épicier et marchand de thé de notre village) pût revenir le même jour. Je me levai, m’habillai, pris à la hâte mon déjeuner, reçus les tendres embrassements de mon père, de ma mère et de ma sœur, baisai la chatte, et, au grand scandale de Sally, la servante, lui donnai une cordiale poignée de main, montai dans le cabriolet, tirai mon voile sur ma figure, et alors, mais seulement alors, je fondis en larmes. La voiture roula ; je regardai derrière moi : ma mère et ma sœur étaient toujours debout sur la porte, me regardant et me faisant des signes d’adieu. Je les leur rendis, et priai Dieu pour leur bonheur du fond de mon âme. Nous descendîmes la colline, et je ne pus plus voir.

« Il fait bien froid pour vous ce matin, miss Agnès, me dit Smith, et le temps est bien sombre aussi. Mais j’espère que vous serez arrivée à destination avant que la pluie ne tombe.

— Oui, je l’espère, » répondis-je avec autant de calme que je le pus.

Là se borna notre colloque. Nous traversâmes la vallée et commençâmes à monter la colline opposée. Je regardai de nouveau derrière moi. Je vis le clocher du village et, derrière, la vieille maison du presbytère éclairée par un rayon de soleil ; ce rayon était le seul, car tout le village et les collines environnantes étaient dans l’ombre formée par les nuages. Je saluai ce rayon de soleil comme un heureux présage pour ma maison. J’implorai avec ferveur la bénédiction du ciel pour ses habitants et me détournai vivement, car je voyais les rayons du soleil disparaître. J’évitai avec soin de reporter mes yeux sur le presbytère, craignant de le voir dans l’ombre comme le reste du paysage.