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tout à fait disparu ? Quel péril concevez-vous pour moi dans les ténèbres ?

— Je ne puis définir mes craintes ; mais à présent nous éprouvons une certaine anxiété à l’endroit de nos amis. Mon oncle appelle ces temps dangereux ; il dit aussi que les propriétaires de fabriques sont impopulaires.

— Et moi un des plus impopulaires, n’est-ce pas ? Vous n’osez me parler clairement ; mais, dans votre cœur, vous me croyez exposé au sort de ce pauvre Pearson, qui reçut une balle, non à la vérité de derrière une haie, mais dans sa propre maison, à travers sa fenêtre, comme il allait se mettre au lit.

— Anne Pearson m’a montré la balle dans la chambre à coucher, dit gravement Caroline en se débarrassant de son manteau et de son manchon. Vous savez, continua-t-elle, qu’il y a une haie tout le long de la route d’ici à Whinbury, et qu’il faut aussi passer les plantations de Fieldhead. Mais vous serez de retour à six heures, ou plus tôt ?

— Certainement, affirma Hortense. Et maintenant, mon enfant, préparez vos leçons pendant que je vais mettre tremper les pois pour la purée du dîner. »

Puis elle sortit.

« Vous me soupçonnez donc beaucoup d’ennemis, Caroline ? dit M. Moore ; et sans doute vous me savez destitué d’amis ?

— Non pas tout à fait, Robert. Vous avez votre sœur, votre frère Louis que je n’ai jamais vu ; il y a M. Yorke, mon oncle, et puis bien d’autres. »

Robert sourit.

« Vous seriez bien embarrassée de nommer vos bien d’autres, dit-il. Mais montrez-moi votre livre d’exercice ». Quelle peine extrême vous prenez à votre écriture ! C’est ma sœur, je suppose, qui exige ce soin. Elle veut vous former en tout d’après le modèle d’une écolière flamande. À quelle existence êtes-vous destinée, Caroline ? Que ferez-vous de votre français, de votre dessin et de vos autres talents, lorsque vous les aurez acquis ?

— Vous faites bien de dire : lorsque je les aurai acquis ; car, vous le savez, avant qu’Hortense entreprît mon éducation, je savais peu de chose. Pour ce qui est de l’existence à laquelle je suis destinée, je ne peux le dire : je suppose que c’est à tenir la maison de mon oncle, jusque… »

Elle hésita.

« Jusqu’à quand ? Jusqu’à sa mort ?