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les faits m’eussent parfaitement déchargé de cette tâche. Le meurtrier ne fut jamais puni, par la bonne raison qu’il ne fut jamais saisi, ce qui résulta de cette autre circonstance, qu’il ne fut jamais poursuivi. Les magistrats eurent l’air de vouloir se remuer et faire de grandes choses ; mais puisque Moore lui-même, au lieu de les presser et de les conduire comme auparavant, demeurait tranquille sur sa petite couche du cottage, riant sous cape et ricanant à chaque trait de sa pâle figure étrangère, ils se ravisèrent et, après avoir rempli certaines formalités indispensables, résolurent prudemment de laisser tomber l’affaire : ce qu’ils firent.

M. Moore savait qui lui avait tiré le coup de fusil ; tout Briarfield le savait : ce n’était autre que Michael Hartley, le tisserand à moitié fou dont nous avons déjà parlé, un frénétique antinomien en religion, et un forcené niveleur en politique. Le pauvre homme mourut du delirium tremens, une année après sa tentative de meurtre, et Moore donna à sa malheureuse femme une guinée pour le faire enterrer.

L’hiver a fui : le printemps l’a suivi avec son atmosphère embaumée, ses fleurs et sa brillante végétation ; nous sommes maintenant dans le cœur de l’été, au milieu de juin, juin 1812.

Il fait un temps brûlant. Le ciel est d’un azur profond et d’un rouge d’or : il convient à l’époque ; il convient au siècle ; il convient à l’esprit actuel des nations. Le xixe siècle folâtre dans son adolescence de géant. Le jeune Titan déracine des montagnes dans ses ébats, et roule des rochers dans ses jeux sauvages. Cet été, Bonaparte est en selle. Il parcourt avec ses armées les déserts russes ; il a avec lui les Français et les Polonais, les Italiens et les enfants du Rhin, au nombre de six cent mille. Il marche sur l’antique Moscou ; sous les vieux murs de cette ville le rude Cosaque l’attend. Barbare stoïque ! il attend sans crainte de la ruine immense qui s’avance comme un tourbillon. Il met sa confiance dans un nuage chargé de neige. La steppe, le vent, l’orage et la grêle sont ses refuges. Ses alliés sont les éléments ; l’air, le feu, l’eau. Et quels sont ceux-là ? trois terribles archanges toujours debout devant le trône de Jéhovah. Ils sont vêtus de blanc, et portent des ceintures d’or. Ils tiennent des fioles qui regorgent de la colère de Dieu. Leur temps est le jour de la vengeance, leur signal le nom du Dieu des armées, tonnant avec la voix de sa majesté.

« Es-tu entré dans les trésors de neige ? ou as-tu vu les tré-