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— Son mari ! » dit-il.

Il leva et étendit les mains, et tomba sur son siége.

« Il y a quelque temps, vous désiriez savoir qui j’épouserais : mon intention était formée alors, mais je ne pouvais vous la communiquer ; à présent elle est mûre, parfaite ; acceptez Louis Moore pour mon mari.

— Mais vous ne l’épouserez pas, il ne vous aura pas ! s’écria-t-il avec rage.

— Je mourrais plutôt que d’en avoir un autre ; je mourrais si je ne l’avais pas. »

Il murmura des mots dont je ne souillerai jamais cette page.

Elle devint pâle comme la mort ; elle tremblait de tout son être ; ses forces l’abandonnèrent. Je la plaçai sur le sofa, je la regardai le temps nécessaire pour voir qu’elle n’était pas évanouie, ce dont elle m’assura par un divin sourire ; je l’embrassai, et je ne pourrais me rendre compte de ce qui se passa dans l’intervalle de cinq minutes. Elle m’a dit depuis, en pleurant, en riant et en tremblant, que je devins terrible et que je me donnai au démon ; elle m’a dit que je la quittai et fis un bond à travers la chambre, que M. Sympson disparut à travers la porte comme s’il eût été emporté par un canon ; je disparus aussi, et elle entendit mistress Gill pousser des cris d’effroi.

Mistress Gill criait encore lorsque je revins à moi : j’étais alors dans un autre appartement, le parloir aux boiseries de chêne, je crois ; je tenais M. Sympson terrassé devant-moi sur une chaise, ma main sur sa cravate. Ses yeux roulaient dans sa tête ; je l’étranglais, je crois. La femme de charge était là, se tordant les mains, me suppliant de le laisser ; je le laissai alors, et me sentis froid comme le marbre. Mais je dis à mistress Gill d’aller à l’instant chercher une chaise de poste à l’auberge de la Maison-Rouge, et j’avertis M. Sympson qu’il eût à quitter Fieldhead aussitôt qu’elle serait arrivée. Quoique effrayé et hors de lui, il répondit qu’il ne partirait pas. Répétant le premier ordre, j’y ajoutai celui d’aller chercher un constable ; je lui dis :

« Vous partirez, de gré ou de force. »

Il menaça de poursuites ; je ne m’inquiétais de rien ; je l’avais dominé une fois déjà, non pas aussi terriblement que maintenant, mais avec autant d’autorité. C’était une nuit que des voleurs attaquèrent la maison de Sympson-Grove. Dans sa misérable couardise, il se fût contenté d’appeler vainement au