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seulement, il faut que vous soyez présent ; car je suis affreusement fatiguée de me trouver seule en face de lui. Je n’aime pas à le voir en fureur ; il met alors de côté toutes ses jolies façons et ses déguisements de convention, et l’homme se montre ce qu’il est réellement : commun, plat, bas, vilain et un peu méchant. Ses idées ne sont pas propres, monsieur Moore ; elles ont besoin d’être passées au savon doux et à la terre à foulon. Je pense que, s’il pouvait ajouter son imagination au contenu du panier à lessive de mistress Gill, pour qu’elle la fît bouillir dans sa chaudière avec de l’eau de pluie et de la poudre à blanchir (je vais sans doute vous paraître une blanchisseuse émérite), cela lui ferait un bien incalculable. »

— Ce matin, m’imaginant l’avoir entendue descendre de très-bonne heure, je me trouvai en bas instantanément. Je ne m’étais pas trompé. Elle était là, au travail dans la salle à manger, dont la servante complétait l’arrangement et l’époussetage. Elle s’était levée de bonne heure pour terminer quelque petit keepsake qu’elle destinait à Henry. Je ne reçus qu’un froid accueil, que j’acceptai jusqu’à ce que la fille fût partie, me retirant très-tranquillement avec mon livre auprès de la fenêtre. Même quand nous étions seuls, je n’aimais pas à la déranger. Être assis dans le même lieu qu’elle était du bonheur, et le bonheur qui convenait pour une heure matinale, serein, incomplet, mais progressif. Je savais qu’en me montrant importun je m’exposais à une rebuffade. Sur son visage était clairement écrit : « Je ne suis pas à la maison pour les galants. » Je lus, je hasardai de temps à autre un regard ; je vis sa physionomie s’adoucir et s’ouvrir, lorsqu’elle s’aperçut que je respectais sa disposition d’esprit.

La distance qui nous séparait disparut, et la légère glace fondit insensiblement. Avant qu’une heure se fût écoulée, j’étais à côté d’elle, la regardant coudre, recueillant ses doux sourires et ses joyeuses paroles qui tombaient pour moi abondants. Nous étions assis, comme nous avions le droit de l’être, côte à côte. Mon bras reposait sur sa chaise ; j’étais assez près pour compter les points de son travail et discerner le trou de son aiguille. La porte s’ouvrit tout à coup.

Je crois que, si je m’étais alors levé d’auprès d’elle en sursaut, elle m’eût méprisé. Grâce au flegme de ma nature, je tressaille rarement. Lorsque je me trouve bien et confortablement, il n’est pas facile de me déranger ; j’étais bien, très-bien, consé-