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Il était temps d’aller à la salle d’étude ; j’y allai. Cette chambre est fort gaie le matin ; le soleil brille alors à travers la fenêtre basse ; les livres sont en ordre : il n’y a pas de papiers épars de côté et d’autre : le feu est clair et propre ; aucun charbon tombé ; aucune accumulation de cendres. Je trouvai là Henry, et il avait amené avec lui miss Keeldar ; ils étaient l’un auprès de l’autre.

J’ai dit qu’elle était plus aimable que jamais ; c’est vrai. Une belle couleur rose, peu foncée, mais délicate, anime ses joues ; son œil, toujours profond, clair et expressif, a un langage que je ne puis rendre : c’est un langage que l’on ne peut entendre, mais que l’on voit, à l’aide duquel les anges doivent avoir communiqué entre eux lorsque « le silence régnait dans le ciel. » Ses cheveux ont toujours été sombres comme la nuit, fins comme la soie ; son cou a toujours été beau, flexible et uni ; mais tous deux ont maintenant un nouveau charme : ses tresses sont moelleuses comme l’ombre ; les épaules sur lesquelles elles tombent ont une grâce divine. Autrefois je voyais sa beauté ; maintenant je la sens.

Henry répétait sa leçon à elle avant de me l’apporter ; une de ses mains était occupée avec le livre ; il tenait l’autre : ce garçon obtient plus que sa part de privilège. Il ose caresser et reçoit les caresses. Quelle indulgence, quelle compassion elle montre pour lui ! beaucoup trop ! Si cela continuait, Henry dans quelques années, quand son âme serait formée, l’offrirait sur son autel comme j’ai offert la mienne.

Je vis ses paupières s’agiter lorsque j’entrai, mais elle n’a pas levé les yeux. À présent, elle me donne rarement un regard. Elle semble devenir silencieuse aussi ; elle me parle rarement, et, lorsque je suis présent, elle parle peu aux autres. Dans mes sombres moments, j’attribue ce changement à l’indifférence, à l’aversion : à quoi ne l’attribué-je pas ? dans mes rares éclairs de joie, je lui donne une autre signification. Je me dis : « Si j’étais son égal, je pourrais trouver dans cette froideur de la réserve, et dans cette réserve… de l’amour. » Dans ma situation, oserais-je chercher en elle ce sentiment ? et qu’en pourrais-je faire si je l’y trouvais ?

Hier matin, j’osai enfin avoir une heure d’entretien avec elle. Je ne me contentai pas de désirer, je voulus une entrevue. J’osai ordonner à la solitude de nous protéger ; avec beaucoup de décision je montrai la porte à Henry ; sans hésitation je