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comme le cristal : toutes les lumières et les teintes de l’horizon semblaient des reflets de perles blanches, violettes ou gris pâle. Les montagnes étaient d’un bleu lilas ; les lueurs du soleil couchant étaient pourpres ; le firmament était de glace, son fond d’un azur argenté. Quand les étoiles se levèrent, elles parurent formées de cristal blanc et non d’or ; des teintes grises, céruléennes ou d’émeraude pâle, froides, pures, transparentes, coloraient la masse du paysage.

Quel est cet objet bleu, mouvant, isolé, au milieu du bois dépouillé de feuillage ? Eh ! c’est un écolier, un écolier de Briarfield, qui a laissé ses compagnons gagner la maison par la grand’route, et qui cherche un certain arbre, avec un certain tertre mousseux à la racine, convenable pour un siége. Pourquoi flâne-t-il en cet endroit ? l’air est froid et il se fait tard. Il s’assied : à quoi pense-t-il ? Éprouve-t-il le chaste et pur charme de cette belle soirée ? Une lune d’un blanc de perle sourit à travers les arbres gris : fait-il attention à ce sourire ?

Impossible de le dire ; car il est silencieux et sa contenance ne parle point : son visage n’est point un miroir qui réfléchit les sensations, mais plutôt un masque qui les cache. C’est un jeune garçon de quinze ans, droit et grand pour son âge ; son air annonce aussi peu d’aménité que de servilité. Son œil semble prêt à remarquer toute tentative de contrôle et de domination, et ses traits indiquent des facultés alertes pour la résistance. Les sous-maîtres sages évitent, autant qu’ils le peuvent, de se mêler des affaires de ce garçon-là. Le réduire par la sévérité serait une tentative inutile ; le gagner par la flatterie serait pire encore. Il vaut mieux le laisser à lui-même. Le temps fera son éducation, l’expérience se chargera de le former.

Martin Yorke (car c’est un jeune Yorke) fait profession de fouler aux pieds la poésie. Parlez-lui sentiment, il vous répondra par un sarcasme. Il est là, errant seul, regardant respectueusement la nature, pendant qu’elle déroule sous ses yeux attentifs une page de sévère, silencieuse et solennelle poésie.

Aussitôt assis, il tire un livre de son sac, non une grammaire latine, mais un volume de contrebande, des contes de fées ; il y a encore bien une heure de jour pour sa jeune vue ; d’ailleurs, la lune est là ; sa lumière, encore faible et vague, remplit la clairière où il est assis.

Il lit : il se trouve transporté dans une région solitaire et