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vous ne pouvez ébranler. Mon cœur, ma conscience, disposeront de ma main : eux seuls. Sachez-le enfin ! »

M. Sympson commençait à être effrayé.

« Jamais je n’ai entendu un pareil langage ! murmura-t-il plusieurs fois. Jamais de ma vie on ne m’a parlé ainsi ; jamais je n’ai été ainsi traité.

— Vous êtes tout confus, monsieur. Vous feriez mieux de vous retirer, ou je vais sortir. »

Il se leva rapidement.

« Nous devons quitter cette maison : il faut qu’ils fassent à l’instant leurs malles.

— Ne pressez pas tant ma tante et mes cousines ; donnez-leur le temps. »

Il se dirigea vers la porte ; il revint reprendre son mouchoir de poche ; il laissa tomber sa tabatière ; laissant son contenu éparpillé sur le tapis, il se précipita dehors et faillit tomber sur Tartare, qui se tenait sur le paillasson : au comble de l’exaspération, il hurla un jurement pour le chien et une grossière épithète pour la maîtresse.

« Pauvre M. Sympson ! il est tout à la fois faible et vulgaire, » se disait Shirley à elle-même. La tête me fend, et je suis fatiguée, ajouta-t-elle, et plaçant sa tête sur un coussin, elle se laissa doucement passer de l’excitation au repos. Quelqu’un, entrant dans la chambre un quart d’heure après, la trouva endormie. Quand Shirley avait été agitée, elle prenait généralement ce repos naturel, qui ne manquait jamais de venir à son appel.

L’intrus s’arrêta en sa présence et dit :

« Miss Keeldar ! »

Peut-être sa voix s’harmoniait-elle avec quelque rêve heureux de la jolie dormeuse : elle ne tressaillit point, elle s’éveilla à peine ; sans ouvrir les yeux, elle tourna légèrement la tête, de façon que sa joue et son profil, auparavant cachés par son bras, devinrent visibles ; son teint était vermeil ; elle semblait heureuse ; un demi-sourire s’épanouissait sur ses traits ; mais ses cils étaient humides : elle avait pleuré pendant son sommeil ; ou peut-être, avant de s’endormir, l’épithète que lui avait jetée son oncle en la quittant lui avait fait répandre quelques larmes. Il n’est pas d’homme, il n’est pas de femme qui soient toujours assez forts pour mépriser une opinion injuste, pour dédaigner une parole outrageante. La calomnie,