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— Vous êtes capable de détraquer le cerveau de l’homme le plus sensé, avec vos étranges contradictions.

— Il est évident que je dérange le vôtre.

— Vous parlez de la jeunesse de Philippe ; mais il a vingt-deux ans.

— Mon mari doit avoir trente ans, avec la raison de quarante.

— Il vous faudrait quelque vieillard, quelque amoureux à tête blanche ou chauve.

— Non, je vous remercie.

— Vous pourriez conduire quelque radoteur, vous pourriez l’attacher à votre tablier.

— C’est ce que je ferais sans doute en épousant un enfant ; mais je n’ai pas de vocation pour cela. Ne vous ai-je pas dit que je préférais un maître ? un homme en la présence duquel je me sentirais obligée et disposée à être bonne ; un homme dont mon tempérament impatient dût reconnaître l’autorité ; un homme dont l’approbation pût me récompenser et le mécontentement me punir ; un homme qu’il me semblât impossible de ne pas aimer et très-possible de craindre.

— Qu’est-ce qui vous empêche donc d’avoir tout cela avec sir Philippe ? Il est baronnet ; c’est un homme de rang, de fortune, d’une excellente famille, bien au-dessus de la vôtre. Si vous parlez d’intelligence, il est poëte : il fait des vers, ce que vous, je l’affirme, avec toute votre habileté, ne pouvez faire.

— Ni son titre, ni sa fortune, ni sa généalogie, ni son talent poétique, ne peuvent l’investir du pouvoir dont j’ai parlé. Ce sont des qualités trop légères. Un peu de bon sens pratique, solide et sain, le placerait plus haut dans mon estime.

— Vous et Henry raffolez de poésie ; vous aviez coutume de prendre feu comme de l’amadou sur ce sujet, quand vous étiez enfant.

— Oh ! mon oncle, il n’y a de réellement précieux en ce monde, il n’y a de glorieux dans le monde à venir que la poésie !

— Eh bien donc, épousez un poète.

— Montrez-m’en un, je ne demande pas mieux.

— Sir Philippe.

— Point du tout. Vous êtes presque aussi poëte que lui.

— Madame, vous sortez de la question.

— Vraiment, mon oncle, je voudrais bien en être dehors, et