Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/499

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais vous l’aimiez, Yorke ; vous adoriez Marie Cave ; votre conduite, après tout, fut celle d’un homme, jamais celle d’un chasseur de fortune.

— Oui, je l’aimais ; mais alors elle était belle comme la lune, que nous ne voyons pas ce soir : il n’y a rien de semblable à elle de nos jours ; miss Helstone peut-être a quelque ressemblance avec elle, mais nulle autre.

— Qui a une ressemblance avec elle ?

— La nièce de ce tyran vêtu de noir, cette paisible et délicate miss Helstone. Plus d’une fois j’ai mis mes lunettes pour regarder cette jolie fille à l’église, parce qu’elle a de charmants yeux bleus, avec de longs cils ; et lorsqu’elle est assise dans l’ombre et qu’elle est calme et pâle, prête peut-être à s’endormir à cause de la longueur du sermon ou de la chaleur, elle ressemble plus à un marbre de Canova qu’à toute autre chose.

— Est-ce que la beauté de Marie Cave était de ce genre ?

— Elle était d’un genre bien supérieur ! beaucoup moins féminine et terrestre. On s’étonnait qu’elle n’eût pas des ailes et une couronne. Ma Marie avait la majesté et la sérénité des anges.

— Et vous ne pûtes vous en faire aimer ?

— Tous mes efforts furent impuissants ; et cependant plus d’une fois je priai à genoux le ciel de venir à mon aide.

— Marie Cave n’était pas ce que vous pensez, Yorke ; j’ai vu son portrait à la rectorerie. Ce n’est point un ange, mais une belle femme, aux traits réguliers, à l’air taciturne, un peu trop blanche et inanimée pour mon goût. Mais en supposant qu’elle ait été un peu meilleure qu’elle n’était…

— Robert, interrompit Yorke, je pourrais vous jeter en bas de votre cheval en ce moment. Cependant je retiendrai ma main. La raison me dit que vous êtes dans le vrai, et que j’ai eu tort. Je sais bien que la passion que j’ai encore est le reste d’une illusion. Si Marie Cave avait eu du sens et des sentiments, elle n’eût pu se montrer aussi insensible à mon amour, et elle m’eût préféré à ce despote au visage d’airain.

— Supposez, Yorke, qu’elle ait été bien élevée (chose rare à cette époque) ; supposez qu’elle ait eu un esprit réfléchi et original, l’amour de la science ; qu’elle ait reçu avec un plaisir naïf l’instruction qui coulait de vos lèvres ou que lui mesurait votre main ; supposez que sa conversation, lorsqu’elle se trouvait assise à vos côtés, ait été fertile, variée, empreinte