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suggestion, dédaigner tout conseil sensé et l’abandonner ? Jeune, gracieuse, aimable, ma bienfaitrice était attachée à moi, amoureuse de moi, avais-je coutume de me dire ; je restais sur le mot, je le répétais avec une agréable et pompeuse complaisance, avec une admiration dédiée entièrement à moi, qui n’était pas même diminuée par mon estime pour elle. En vérité, je souriais en secret de sa naïveté et de sa simplicité d’être la première à aimer et à le laisser voir. Votre cravache me semble avoir un manche lourd et solide, Yorke ! vous pouvez la brandir sur votre tête et me jeter en bas de la selle, si vous le voulez.

— Prenez patience, Robert, jusqu’à ce que la lune se lève et que je puisse vous voir. Parlez simplement : l’aimiez-vous, ou ne l’aimiez-vous pas ? J’aimerais à le savoir : je suis curieux.

— Monsieur… monsieur, je dis qu’elle est très-jolie, à sa propre manière, et très-attrayante. Elle semble par moments un composé de feu et d’air, devant lequel je reste émerveillé, avec la pensée de la presser et de l’embrasser. Je sens en elle un puissant aimant pour mon intérêt et ma vanité : je ne me suis jamais senti attiré à elle, comme si la nature l’avait destinée à être la seconde et la meilleure partie de moi-même. Lorsque cette idée se présenta à moi, je la repoussai en disant brutalement : « Je serai riche avec elle et pauvre sans elle ; en l’épousant j’agirai en homme pratique et non en héros de roman. »

— Résolution fort sage. Quel malheur en est-il advenu, Bob ?

— Avec cette fort sage résolution, je me rendis à Fieldhead un soir d’août dernier : c’était la veille même de mon départ pour Birmingham, car, vous le voyez, j’avais besoin de m’assurer ce splendide prix de la fortune : j’avais préalablement envoyé un mot pour solliciter une entrevue particulière. Je la trouvai à la maison, et seule. Elle me reçut avec embarras, car elle pensait que je venais pour affaires. J’étais assez embarrassé moi-même, mais décidé. Je ne savais pas trop comment entamer la conversation : mais je m’y pris d’une manière rude et ferme, quoique avec assez de frayeur, je puis le dire. Je m’offris moi-même, ma belle personne avec mes dettes pour apport matrimonial. Je fus vexé, je fus irrité de voir qu’elle ne rougissait, ni ne tremblait, ni ne baissait les yeux. Elle répondit :