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étrangère, elle me montrait tout à coup un éclair de simplicité si aimante, elle me réchauffait avec un rayon de si vivifiante sympathie, elle me réjouissait avec une conversation si aimable, si gaie, si bienveillante, que je ne pouvais pas plus interdire à son image l’entrée de mon cœur qu’à sa personne l’entrée de cette chambre. Expliquez-moi pourquoi elle se plaisait à me rendre ainsi malheureux.

— Elle ne pouvait supporter d’être tout à fait exilée ; puis il lui arrivait quelquefois de penser, par un jour froid et humide, que la salle d’étude n’était pas un endroit très-gai ; et elle se croyait alors tenue d’aller voir si vous et Henry entreteniez un bon feu ; et une fois là, elle aimait à rester.

— Mais elle ne devrait pas être changeante ; si elle est venue une fois, elle devrait venir plus souvent.

— Cela pourrait passer pour de l’intrusion.

— Demain vous ne serez pas ce que vous êtes aujourd’hui.

— Je ne sais pas. Et vous, serez-vous le même ?

— Je ne suis pas fou, très-noble Bérénice. Nous pouvons donner un jour aux rêves ; mais le lendemain nous savons nous éveiller ; et je m’éveillerai à propos le matin où vous serez mariée à sir Philippe Nunnely. Le feu brille sur vous et moi, et réfléchit très-clairement nos images dans la glace, miss Keeldar ; j’ai regardé ce tableau pendant tout le temps que j’ai parlé. Voyez ! quelle différence entre votre tête et la mienne ! Je parais vieux, bien que je n’aie que trente ans !

— Vous êtes si grave ! vous avez un front si carré ! et votre visage est pâle. Je ne vous considère jamais comme un jeune homme, ni comme le cadet de Robert.

— Vraiment ? Je ne le pensais pas. Imaginez-vous la figure bien coupée et belle de Robert regardant par-dessus mon épaule. Est-ce que cette apparition ne fait pas vivement ressortir la lourdeur obtuse de mes traits ? Ah ! (Il tressaille.) Depuis une demi-heure, je m’attendais à entendre vibrer ce fil d’archal. »

La cloche du dîner sonna, et Shirley se leva.

« Monsieur Moore, dit-elle en rassemblant ses fils de soie, avez-vous eu récemment des nouvelles de votre frère ? Savez-vous pourquoi il demeure si longtemps à Londres ? Parle-t-il de revenir ?

— Il parle de revenir ; mais je ne puis dire ce qui a été cause de sa longue absence. À dire vrai, je pensais que per-