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mouraient de faim, donneraient du travail à ceux qui n’en avaient pas ; il trouva singulière l’idée qu’il y avait des maux inévitables ; il dit que la patience publique ressemblait à un chameau sur le dos duquel le dernier atome qu’il pût porter aurait déjà été mis, et que la résistance était maintenant un devoir ; quant à l’esprit général de désaffection envers les autorités constituées, il le regardait comme le signe le plus rempli de promesses des temps actuels. Les maîtres, il l’accordait, étaient réellement embarrassés ; mais leurs embarras avaient été accumulés sur eux par un gouvernement vil, corrompu et sanguinaire (c’étaient les épithètes de M. Yorke). Des fous comme Pitt, des démons comme Castelreagh, de dangereux idiots tels que Parceval, étaient les tyrans, la malédiction du pays, les destructeurs de son commerce. C’était leur persévérance entêtée dans une guerre injustifiable, funeste et ruineuse, qui avait amené le pays à l’état dans lequel il se trouvait. C’étaient leurs taxes monstrueuses et oppressives, leurs infâmes ordres en conseil, dont les promoteurs méritaient l’accusation de haute trahison et l’échafaud, qui avaient attaché une meule au cou de l’Angleterre.

« Mais à quoi bon discourir ? continua-t-il. Quelle chance de faire entendre la voix de la raison dans un pays gouverné par un roi, par des prêtres et par des pairs ; qui a pour roi nominal un fou et pour monarque réel un débauché sans principes ; qui tolère une insulte au sens commun telle que des législateurs héréditaires, et une plaisanterie comme le banc des évêques ; qui vénère et supporte une Église pleine d’intolérance et d’abus, tient sur pied une armée permanente, et nourrit une autre armée de prêtres paresseux, et leurs familles ? »

M. Helstone se leva, mit sur sa tête son chapeau à larges bords, et répondit que dans le cours de sa carrière il avait rencontré deux ou trois personnes chez qui des sentiments semblables s’étaient très-fermement maintenus tant que la santé, la force et la prospérité étaient restées fidèles à ceux qui les professaient. Mais il vient un temps, dit-il, pour tous les hommes, « où les maîtres de la maison tremblent et sont effrayés de ce qui est en haut ; » et ce temps est l’épreuve de l’avocat de l’anarchie et de la rébellion, de l’ennemi de la religion et de l’ordre. Il avait été appelé, affirma-t-il, pour lire les prières de l’Église au lit de mort de l’un de ses plus acharnés ennemis ; il l’avait vu accablé de remords, cherchant dans son cœur une