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Mistress Helstone ne fut pas plutôt dans la tombe, que la rumeur se répandit dans le voisinage qu’elle était morte de chagrin ; bientôt même on parla de mauvais traitements de la part du mari ; rapports grossièrement faux, mais qui n’en furent pas moins avidement saisis. M. Yorke les entendit, et en crut une partie. Déjà il n’avait pas des sentiments bienveillants pour son heureux rival ; bien que marié lui-même et uni à une femme qui semblait sous tous les rapports le parfait contraste de Marie Cave, il ne put oublier l’amer désappointement qu’il avait éprouvé, et, lorsqu’il apprit que celle qui lui eût été si précieuse avait été négligée, maltraitée peut-être par un autre, il conçut pour cet autre une profonde et amère animosité.

De la nature et de la violence de cette animosité, M. Helstone n’était qu’à moitié instruit ; il ne savait pas combien Yorke avait aimé Marie Cave, ni combien il avait souffert en la perdant. Les bruits de mauvais traitements qu’il aurait fait endurer à son épouse, familiers à toutes les oreilles du voisinage, n’étaient jamais arrivés aux siennes. Il croyait que des dissidences politiques et religieuses seules le séparaient de M. Yorke. S’il avait connu la vérité, rien n’eût pu probablement lui persuader de franchir le seuil de la demeure de son ancien rival.

M. Yorke ne reprit point sa mercuriale à M. Moore ; la conversation recommença bientôt dans une forme plus générale, bien que conservant encore un peu le caractère de la dispute. L’état inquiet du pays, les nombreuses déprédations commises récemment dans le district sur les fabriques, fournissaient un aliment d’autant plus vif à la discussion, que les trois personnes présentes différaient plus ou moins dans leur manière de voir. M. Helstone était pour les maîtres ; il trouvait les ouvriers déraisonnables. Il condamnait vivement cet esprit de désaffection contre l’autorité qui s’étendait partout, ainsi que le refus de supporter avec patience des maux qu’il regardait comme inévitables. Le remède qu’il prescrivait, c’était une intervention vigoureuse de la part du gouvernement, une vigilance stricte de la part des magistrats, et, toutes les fois qu’elle serait nécessaire, une répression militaire prompte et énergique.

M. Yorke demandait si cette intervention, cette vigilance et cette répression sévère et vigoureuse, nourriraient ceux qui