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et cependant on sentait qu’il s’était fait un changement en Shirley.

Le lendemain, le jour d’après, la semaine, la quinzaine suivantes, cette ombre nouvelle et particulière demeura sur la physionomie, sur les manières de miss Keeldar. Une étrange inquiétude se faisait remarquer dans son regard, dans ses mouvements, jusque dans sa voix. L’altération n’était pas assez marquée pour provoquer ou permettre de fréquentes questions ; cependant cette altération existait et ne voulait pas céder. Elle planait sur elle comme un nuage qu’aucune brise ne pouvait chasser ni dissiper. Bientôt il devint évident que lui parler de ce changement, c’était la contrarier. D’abord, elle cherchait à éluder la remarque, et, si l’on y persistait, elle la repoussait avec la hauteur qui lui était propre. Si on lui demandait : « Êtes-vous malade ? » elle répondait avec décision :

« Je ne le suis pas.

— Est-ce que quelque chose pèse sur votre intelligence ? Est-il arrivé quelque chose qui affecte vos esprits ? »

Elle ridiculisait ironiquement l’idée. Qu’entendaient-ils par esprits ? Elle n’avait pas d’esprits, noirs ou blancs, bleus ou gris, à affecter.

Il devait pourtant y avoir quelque chose : elle était si changée ! lui disait-on.

Elle répondait qu’elle avait le droit de changer à son aise. Elle savait qu’elle n’était pas embellie : s’il lui convenait de devenir laide, qui pouvait y trouver à redire ?

Il devait y avoir une cause à ce changement : quelle était-elle ? insistait-on.

Elle demandait alors péremptoirement qu’on la laissât tranquille.

Puis elle faisait tous ses efforts pour paraître gaie, et semblait s’indigner contre elle-même de n’y pouvoir réussir ; de brèves, méprisantes épithètes, s’échappaient de ses lèvres lorsqu’elle était seule : « Folle ! lâche ! s’appelait-elle. Poltronne ! se disait-elle ; si vous devez trembler, tremblez en secret. Languissez lorsqu’aucun œil ne vous voit. »

« Comment osez-vous, lui arrivait-il de se demander, comment osez-vous montrer votre faiblesse et trahir vos imbéciles anxiétés ? Secouez-les ; élevez-vous au-dessus d’elles ; et, si vous ne le pouvez, cachez-les. »

Et pour les cacher, elle fit de son mieux. Elle devint de