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dans sa vie l’habitude d’admirer ; pour lui Marie Cave était parfaite, parce que, pour quelque raison (sans doute il avait une raison), il l’aimait.

M. Helstone, en ce temps-là vicaire de Briarfield, aimait aussi Marie. Beaucoup d’autres aussi l’admiraient, car elle était d’une beauté angélique ; mais le jeune ecclésiastique fut préféré à cause de sa position. M. Helstone n’avait et ne professait point pour Marie l’absorbante passion de M. Yorke ; il la vit ce qu’elle était réellement, et demeura en conséquence plus maître d’elle et de lui-même. Elle accepta sa main à la première offre, et le mariage eut lieu.

La nature n’avait jamais entendu faire de M. Helstone un bon mari, même pour une femme d’humeur paisible. Il pensait, aussi longtemps que sa femme gardait le silence, que rien ne la tourmentait et qu’elle n’avait besoin de rien. Si elle ne se plaignait pas de la solitude, la solitude, quelque prolongée qu’elle fût, ne lui déplaisait point. Parce qu’elle ne parlait point, et qu’elle n’exprimait point une prédilection pour ceci, une aversion pour cela, il était inutile de consulter ses goûts. Il n’avait pas la prétention de connaître les femmes, ni de les comparer avec les hommes. Elles étaient pour lui des êtres d’un ordre très-différent et peut-être bien inférieur. Il ne pensait pas qu’une femme pût être la compagne de son mari, bien moins encore sa confidente et son soutien. Sa femme, au bout d’un an ou deux, n’était pour lui d’une grande importance sous aucun rapport ; toutefois, lorsqu’un jour, soudainement, ainsi qu’il le pensa, car il l’avait à peine vue dépérir, elle prit congé de lui et de ce monde, et qu’il ne trouva plus qu’une belle forme d’argile, froide et blanche, dans la couche nuptiale, il sentit la perte qu’il venait de faire, plus peut-être qu’il ne parut la sentir, car il n’était pas de ces hommes à qui le malheur arrache facilement des pleurs.

Ses yeux sans larmes et son chagrin contenu scandalisèrent une vieille gouvernante et une autre femme qui avait soigné mistress Helstone dans sa maladie, et qui peut-être avait eu occasion d’en apprendre sur sa nature et ses facultés aimantes plus que n’en connaissait son mari. Elles jasèrent auprès du corps, racontèrent des anecdotes sur la cause réelle et supposée de la maladie ; bref elles s’indignèrent contre cet austère petit homme qui examinait des papiers dans la pièce voisine, et qui ne se doutait guère des malédictions dont il était l’objet.