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fantastiques ; les couleurs des fleurs et des oiseaux n’ont pas d’éclat violent : le repos règne dans l’étendue de ces forêts remplies de douce fraîcheur.

Le charme aimable garanti à la fleur et à l’arbre, accordé à la biche et à la colombe, n’a point été dénié à la fille de l’humanité. Entièrement solitaire, elle a grandi droite et gracieuse. La Nature forma ses traits dans un beau moule ; ils ont mûri dans leurs lignes pures et correctes, inaltérés par les secousses de la maladie. Aucun vent desséchant n’a maltraité la surface de son corps ; aucun soleil brûlant n’a crêpé ou flétri les tresses de ses cheveux ; sa forme blanche brille comme l’ivoire à travers les arbres ; sa chevelure ruisselle abondante, longue, luisante ; ses grands yeux brillent dans l’ombre d’un doux et humide éclat : au-dessus de ces yeux, quand la brise le met à nu, son front large et pur ressemble à une page claire et candide, où la connaissance, si la connaissance arrive jamais, pourra écrire son mémorial en lettres d’or. Vous ne voyez dans la jeune sauvage rien de vicieux ni de farouche : elle hante les bois, innocente et pensive, quoiqu’il ne soit pas aisé de deviner à quoi peut penser un être si ignorant.

Le soir d’un jour d’été, avant le déluge, étant entièrement seule, car elle avait perdu toute trace de sa tribu, qui avait erré fort loin, elle ne savait où, elle sortit de la vallée pour voir le Jour disparaître et la Nuit arriver. Une pointe de rocher surmontée d’un arbre fut son observatoire : les racines du chêne, couvertes de gazon et de mousse, lui fournirent un siège ; les branches chargées de feuillage lui tissèrent un dais.

Lent et majestueux le Jour se retira, traversant des feux de pourpre, et disparaissant aux adieux du chœur sauvage des hôtes des bois. Puis la Nuit vint, calme comme la mort : le vent tomba, les oiseaux cessèrent de chanter. En ce moment chaque nid contint d’heureux couples, le cerf et la biche dormirent heureux et tranquilles dans leur réduit.

La jeune fille était assise, le corps immobile, l’âme agitée, occupée cependant plutôt par le sentiment que par la pensée, par le désir que par l’espérance, par l’imagination que par la réalité. Elle sentait que la puissance du monde, du firmament, était sans bornes. Elle se croyait le centre de toute chose, un petit atome de vie oublié, une étincelle d’âme lancée par inadvertance de la grande source créatrice, et maintenant brûlant