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mais ils lui rappelaient de vieux souvenirs, des idées de plaisirs peut-être ; ils le reportaient au temps de ses voyages, de ses jeunes années ; il avait vu en Italie des visages comme celui de Moore ; il avait entendu dans les cafés parisiens et aux théâtres des voix semblables à la sienne ; il était jeune alors, et, lorsqu’il regardait le jeune étranger et entendait le son de sa voix, il lui semblait être jeune encore.

La seconde raison avait quelque chose de plus substantiel, quoique moins agréable : M. Yorke avait connu le père de Moore ; il avait fait des affaires avec lui, et avait, dans une certaine mesure, été impliqué dans ses pertes.

Troisièmement, il avait reconnu en lui un homme véritablement apte aux affaires. Il était persuadé que, par un moyen ou par un autre, ce jeune homme arriverait à faire sa fortune, et il respectait sa résolution et sa perspicacité, peut-être même sa rudesse. Une quatrième circonstance qui les réunissait, c’est que M. Yorke était un des tuteurs de la mineure sur le domaine de laquelle la fabrique de Hollow était située. En conséquence, Moore, dans le cours de ses changements et de ses améliorations, avait de fréquentes occasions de le consulter.

Quant à l’autre convive présent en ce moment dans le parloir de M. Yorke, entre lui et son hôte existait une double antipathie, l’antipathie naturelle et celle des circonstances. Le libre penseur haïssait le formaliste ; l’amant de la liberté détestait le puritain. En outre, on disait que dans leur jeunesse ils avaient offert leurs hommages à la même femme.

M. Yorke, dans sa jeunesse, était cité pour la préférence qu’il donnait aux femmes spirituelles et ardentes. Une taille élégante, un air distingué, un esprit vif, une langue prompte, avaient pour lui de grands attraits. Jamais cependant il ne songea à épouser aucune de ces élégantes dont il recherchait la société ; devenu éperdument amoureux, il rechercha ardemment une jeune fille qui présentait un contraste complet avec celles qu’il avait précédemment remarquées : une jeune fille au visage de madone, un marbre vivant, l’impassibilité personnifiée. Peu lui importait qu’elle ne lui répondît que par monosyllabes, qu’elle n’entendît pas ses soupirs, qu’elle ne lui rendît pas ses regards, ne répondît jamais à ses opinions, ne sourît que rarement à ses plaisanteries, et ne lui accordât ni respect ni attention ; peu lui importait qu’elle parût l’antipode de tout ce qu’il avait eu