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choir, et autres objets que la négligence de Shirley laissait tomber, qu’il gagnait des maux de tête et devenait cramoisi. Il avait coupé court à toutes ses plaisanteries sur la supériorité d’esprit des femmes, et commencé d’obscures excuses sur les grossières erreurs dont il s’était rendu coupable à l’endroit de la tactique et de l’habileté d’un certain personnage qui « ne demeurait pas à cent milles de Fieldhead ; » enfin il se rengorgeait comme un coq sur des patins.

Sa nièce voyait ses manœuvres et l’écoutait avec flegme. Apparemment elle ne voyait qu’à moitié le but où il tendait. Quand il lui fut dit clairement qu’elle était la préférée du baronnet, elle répondit qu’elle croyait ne pas lui être indifférente, et que pour sa part elle le voyait avec plaisir ; qu’elle n’aurait jamais pensé qu’un homme de son rang, le seul fils d’une mère fière et affectionnée, le seul frère de sœurs qui l’idolâtraient, pût avoir tant de bonté, et surtout tant de bon sens.

La suite prouva effectivement qu’elle n’était point indifférente à Philippe. Peut-être avait-il trouvé en elle ce « charme curieux » remarqué par M. Hall. Il recherchait de plus en plus sa présence, au point qu’elle lui semblait être devenue indispensable. En ce temps, d’étranges idées habitaient Fieldhead ; d’impatientes espérances et de cruelles anxiétés hantaient quelques-uns de ses appartements. Une certaine agitation régnait autour du vieux manoir ; on était dans l’attente de quelque grand événement.

Une chose paraissait claire. Sir Philippe n’était pas un homme à dédaigner : il était aimable ; si ce n’était pas un esprit supérieur, il était du moins intelligent. Miss Keeldar ne pouvait dire de lui ce qu’elle avait dit amèrement de Sam Wynne, que ses sentiments étaient émoussés, ses goûts grossiers, ses manières vulgaires. Il y avait de la sensibilité dans sa nature ; il y avait un amour des arts très-réel, sinon très-éclairé. Il y avait du gentilhomme anglais dans toute sa conduite : quant à sa lignée et à sa fortune, elles étaient bien au-dessus des prétentions que pouvait avoir Shirley.

Sa tournure avait d’abord excité quelques remarques plaisantes de la part de la rieuse Shirley ; il avait l’air enfantin ; ses traits étaient communs, ses cheveux roux, sa stature insignifiante. Mais elle réprima bientôt ses sarcasmes sur ce point. Elle se fâchait même lorsque quelqu’un se permettait quelque blessante allusion sur le baronnet. Il avait une contenance