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à l’avoir dans ma chambre ; elle rendait agréable les heures des leçons. Elle apprenait vite, on ne savait quand ni comment. Le français n’était rien pour elle. Elle le parlait couramment, aussi couramment que M. Moore lui-même.

— Était-elle obéissante ? vous donnait-elle du tourment ?

— Elle me donnait beaucoup de tourment sous un rapport : elle était étourdie, mais je l’aimais. Je suis désespérément amoureux de Shirley.

Désespérément amoureux, vous, petit nigaud ! Vous ne savez ce que vous dites.

— Je suis désespérément amoureux d’elle. Elle est la lumière de mes yeux. Je l’ai dit hier soir à M. Moore.

— Il a dû vous réprimander pour parler ainsi avec exagération.

— Non. Il ne réprimande jamais, comme font les gouvernantes des jeunes filles. Il lisait, et il se contenta de sourire dans son livre en disant que, si miss Keeldar n’était pas plus difficile que cela, elle l’était moins qu’il ne l’avait pensé ; que je n’étais qu’un petit garçon boiteux et à la vue trouble. J’ai bien peur d’être un pauvre infortuné, miss Helstone. Je suis estropié, vous savez.

— Ne vous affectez pas de cela, Henry, vous êtes un très-gentil petit garçon ; et, si Dieu ne vous a pas donné la santé et la force, il vous a doué d’un bon caractère, d’un cœur et d’un cerveau excellents.

— Je serai méprisé. Quelquefois je m’imagine que vous et Shirley me méprisez.

— Écoutez, Henry. En général, je n’aime pas les écoliers ; j’en ai même une grande horreur. Je vois en eux de petits scélérats qui prennent un barbare plaisir à tuer et à tourmenter les oiseaux, les insectes, les petits chats et tout ce qui est plus faible qu’eux ; mais vous êtes si différent, que j’éprouve une vive sympathie pour vous. Vous avez presque autant de sens qu’un homme (beaucoup plus, Dieu le sait, qu’un grand nombre d’hommes, se dit-elle) ; vous aimez la lecture, et vous pouvez parler avec bon sens de ce que vous lisez.

— J’aime la lecture. Je sais que j’ai du sens, et je sais aussi que j’ai du sentiment. »

En ce moment, miss Keeldar entra.

« Henry, dit-elle ! j’ai apporté ici votre goûter. Je le préparerai moi-même. »