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flamboyaient. L’émotion pouvait également donner de la couleur à son teint et de la décision à ses mouvements boiteux. La mère de Henry l’aimait ; elle pensait que ses particularités étaient un signe d’élection : il n’était pas comme les autres enfants, disait-elle. Elle le croyait régénéré, un nouveau Samuel, appelé à Dieu depuis le berceau. Il devait être membre du clergé. M. Sympson et ses filles, ne comprenant pas ce jeune garçon, le laissaient livré à lui-même. Shirley en avait fait son favori, et il regardait Shirley comme la compagne de ses jeux.

Au milieu de ce cercle de famille, ou plutôt en dehors, se mouvait le précepteur, le satellite.

Oui, Louis Moore était un satellite de la maison Sympson, attaché et cependant distinct : toujours présent, mais toujours tenu à distance. Chaque membre de cette correcte famille le traitait avec une dignité convenable. Le père était austèrement civil, quelquefois irritable ; la mère, qui était une bonne femme, était pour lui pleine d’attentions, mais formaliste ; les filles voyaient en lui une abstraction, non un homme. On eût dit, d’après leurs manières, que pour elles le précepteur de leur frère n’existait pas. Elles étaient instruites ; lui aussi, mais non pour elles. Elles étaient accomplies ; il possédait aussi des talents, mais imperceptibles pour leurs sens. La plus spirituelle esquisse sortie de ses doigts n’était rien à leurs yeux, la plus originale observation tombée de ses lèvres ne frappait point leurs oreilles. Rien ne pouvait surpasser la réserve de leur conduite à son égard.

J’aurais bien dit que rien ne pouvait l’égaler ; mais je me suis rappelé un fait qui étonna étrangement Caroline Helstone : c’était de découvrir que son cousin n’avait absolument aucun ami sympathique à Fieldhead ; que, pour miss Keeldar, il était autant un simple professeur, aussi peu un gentleman, aussi peu un homme, que pour les estimables misses Sympson.

Qu’était-il donc arrivé à la sensible et bienveillante Shirley, pour qu’elle se montrât si indifférente à la triste position d’un de ses semblables ainsi isolé sous son toit ? Elle n’était peut-être pas hautaine pour lui, mais elle n’avait pas l’air de le remarquer. Elle ne faisait nulle attention à lui. Il allait et venait, parlait ou gardait le silence, sans qu’elle daignât remarquer son existence.

Quant à Louis Moore lui-même, il paraissait rompu à ce