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« Elle est peut-être mieux, disait ce regard ; mais combien elle est faible ! Quel péril elle a traversé ! »

Tout à coup son regard revint à mistress Pryor : il la transperça.

« Quand ma gouvernante reviendra-t-elle auprès de moi ? demanda-t-elle.

— Puis-je tout lui dire ? demanda Caroline à sa mère. »

Cette permission lui ayant été accordée par un geste, Shirley fut instruite de ce qui s’était passé en son absence.

« Très-bien, dit-elle froidement. Très-bien ; mais ce n’est pas une nouvelle pour moi.

— Quoi ! saviez-vous… ?

— J’ai deviné depuis longtemps toute cette affaire. J’ai appris quelque chose de l’histoire de mistress Pryor, non par elle-même, mais par d’autres. Je savais tous les détails du caractère et de la carrière de James Helstone : une après-midi de conversation avec miss Mann m’a rendue familière avec tout cela. Aussi est-ce un des exemples, que met en avant mistress Yorke, un de ces fanaux à lumière rouge qu’elle place sur le chemin du mariage pour en détourner les jeunes ladies. Je crois que je me serais montrée assez sceptique à l’endroit de la vérité du portrait tracé par ces deux ladies. Je questionnai M. Yorke sur ce sujet, et il me dit : « Shirley, ma fille, si vous désirez savoir quelque chose sur ce James Helstone, je ne puis que vous dire que c’était un homme-tigre. Il était beau, dissolu, doux, trompeur, poli, cruel. » Ne pleurez pas, Cary ; nous n’en parlerons plus jamais.

— Je ne pleure pas, Shirley ; ou si je pleure, ce n’est rien. Poursuivez : vous n’êtes pas mon amie, si vous me celez la vérité. Je déteste cette fausse manœuvre de déguiser, de mutiler la vérité.

— Heureusement, j’ai dit à peu près tout ce que j’avais à dire, excepté que votre oncle lui-même confirma les paroles de M. Yorke : car lui aussi abhorre le mensonge, et ne recourt pas à ces subterfuges de convention, plus honteux que le mensonge lui-même.

— Mais papa est mort : ils devraient le laisser en paix.

— Ils devraient le laisser et ils le laisseront en paix. Pleurez, Cary, cela vous fera du bien : il est mal de réprimer des larmes naturelles. D’ailleurs, j’aime à partager cette idée qui brille en ce moment dans les yeux de votre mère qui vous re-