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M. Yorke parlait d’égalité, mais son cœur était plein d’orgueil ; très-doux avec ses subordonnés, très-bon pour tous ceux qui étaient au-dessous de lui, il était hautain comme Belzébuth avec ceux que le monde considérait comme lui étant supérieurs. La révolte était dans son sang ; il ne pouvait supporter aucune domination ; son père et son grand-père avant lui avaient le même défaut, ses enfants après lui suivront son exemple.

Manquant généralement de bienveillance, il ne pouvait supporter la faiblesse d’esprit ni aucun des défauts qui heurtaient sa forte et subtile nature. Aussi ne mettait-il aucun frein à ses mordants sarcasmes. N’étant point compatissant, il pouvait blesser et blesser encore, sans s’apercevoir de la profondeur de la plaie qu’il venait d’ouvrir.

Quant au manque d’idéal de son esprit, c’est à peine si on peut l’appeler un défaut. Il appréciait la musique avec une oreille délicate, la couleur et la forme avec un œil correct ; en un mot, il avait le goût, et qui eût songé à lui demander l’imagination ? N’est-elle pas regardée comme un dangereux et inutile attribut participant de la faiblesse, de la folie peut-être, comme une infirmité plutôt qu’un don de l’esprit, par tous, excepté par ceux qui la possèdent ou s’imaginent la posséder ? À les entendre, ne dirait-on pas que leur cœur resterait froid, s’il n’était électrisé par cet élixir, leurs yeux obscurcis, si cette flamme n’illuminait leurs visions ? Selon eux, elle communique au printemps de joyeuses espérances, à l’été un charme enchanteur, à l’automne des joies tranquilles, et à l’hiver des consolations que vous ne pouvez comprendre. Ce sont là des illusions, assurément ; mais les fanatiques s’attachent à leurs songes, pour eux plus précieux que l’or.

M. Yorke, n’ayant pas l’imagination poétique, la considérait comme une qualité tout à fait superflue chez les autres. Il pouvait tolérer et même encourager les peintres et les musiciens ; il jouissait des produits de leur art, savait apprécier un bon tableau et savourer le charme d’une bonne musique. Mais un poète, fût-il Milton ou Shakspeare, s’il n’avait pu tenir sa place au comptoir ou dans le magasin, eût vécu méprisé et fût mort dédaigné sous les yeux de Hiram Yorke.

Et, comme les Hiram Yorke sont nombreux en ce monde, il est fort heureux que le vrai poëte cache souvent sous une apparence inoffensive un esprit impitoyable et droit avec lequel il mesure la taille de ceux qui d’en haut lui jettent un dédaigneux