Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans réserve et sans crainte : cela contentait son cœur de mère.

Elle aimait à entendre sa fille lui dire : « Maman, faites ceci ; je vous en prie, maman, allez me chercher cela ; maman, lisez-moi quelque chose ; chantez un peu, maman. »

Jamais personne, aucun être vivant, n’avait réclamé ses services, n’avait cherché ainsi l’appui de sa main. Les autres personnes étaient toujours plus ou moins roides et réservées avec elle, de même qu’elle se montrait roide et réservée à leur égard. Les autres personnes connaissaient son côté faible et le lui faisaient sentir : Caroline ne montrait pas plus cette sagacité blessante en ce moment qu’elle ne l’avait fait lorsqu’elle était à la mamelle.

Cependant Caroline trouvait des défauts chez sa mère. Aveugle pour les défauts constitutionnels, qui étaient incurables, elle avait les yeux grands ouverts sur les habitudes acquises, qui étaient susceptibles de remèdes. Sur certains points elle se permettait de réprimander librement sa mère, et celle-ci, au lieu de se sentir blessée, éprouvait une sensation de plaisir en découvrant que sa fille osait lui faire des remontrances, qu’elle se montrait si peu gênée avec elle.

« Maman, je ne veux plus que vous portiez cette vieille robe ; elle n’est plus de mode, la jupe en est trop étroite. Vous mettrez votre robe de soie noire toutes les après-midi ; avec celle-là vous paraissez gentille : elle vous va bien. Vous aurez pour les dimanches une robe de satin, de vrai satin. Et souvenez-vous, maman, que, lorsque vous aurez cette robe nouvelle, il vous faudra la porter.

— Ma chérie, je pensais que ma robe de soie noire pourrait me servir encore plusieurs années, et j’avais l’intention d’acheter pour vous différentes choses.

— C’est inutile, maman. Mon oncle me donne de l’argent pour acheter ce qui m’est nécessaire : vous savez qu’il est assez généreux ; je me suis mis dans la tête de vous voir habillée en satin noir. Achetez-la donc promptement, et faites-la faire par une couturière que je vous recommanderai. Vous vous habillez toujours comme une grand’mère : vous semblez vouloir faire croire que vous êtes vieille et laide ; ce qui n’est pas. Au contraire, lorsque vous êtes joyeuse et bien habillée, vous êtes vraiment très-bien. Votre sourire est si agréable, vos dents sont si blanches, vos cheveux sont encore d’une si jolie