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Quant à vos lourdauds de paysans, je m’en moque, dit Moore s’exprimant en français.

— En revanche, mon garçon, nos lourdauds de paysans se moqueront de toi, sois-en certain, répliqua M. Yorke, s’exprimant aussi en français avec un accent presque aussi pur que celui de Moore.

— C’est bon, c’est bon ! Et, puisque cela m’est égal, que mes amis ne s’en inquiètent pas.

— Tes amis ! où sont-ils, tes amis ?

— Je fais écho, où sont-ils ? et je suis fort aise que l’écho seul y réponde. Au diable les amis ! Je me souviens encore du moment où mon père et mes oncles appelèrent autour d’eux leurs amis, et Dieu sait si leurs amis se sont empressés d’accourir à leur secours ! Tenez, monsieur Yorke, ce mot ami m’irrite trop, ne m’en parlez plus.

— Comme tu voudras. »

M. Yorke laissa tomber la conversation ; et, pendant qu’il est là, confortablement assis dans son antique chaise à dossier de chêne sculpté, je saisis l’occasion d’esquisser le portrait de ce gentleman du Yorkshire qui parle français.

M. Yorke était le gentleman du Yorkshire par excellence. Il pouvait avoir cinquante-cinq ans, mais paraissait plus âgé à première vue, car ses cheveux étaient d’un blanc argenté. Son front était large et peu élevé. Son teint frais dénotait une constitution saine. L’âpreté particulière aux hommes du Nord se remarquait sur son visage et dans le son de sa voix. Chacun de ses traits était anglais, sans aucun mélange du type normand. Rien d’élégant ni d’aristocratique dans ce visage que le beau monde eût trouvé vulgaire, et les gens sensés, caractéristique. Mais la vigueur, la sagacité, l’intelligence, la rude mais réelle originalité marquées dans chaque linéament, dans chaque pli de cette figure, plaisaient aux gens adroits et rusés. C’était une face indocile, dédaigneuse, sarcastique, la face d’un homme difficile à conduire et impossible à contraindre. Sa taille était élevée et bien prise, sa démarche digne et aisée.

Si j’ai éprouvé beaucoup de difficultés à peindre M. Yorke au physique, j’en rencontre encore davantage à le peindre au moral. Si vous vous attendez, lecteur, à trouver en lui une perfection, ou même un vieux gentleman rempli de bienveillance et de philanthropie, vous êtes dans une parfaite erreur. Il vient de parler avec quelque sens, et même avec une certaine sympa-