Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« J’ai respiré les chèvrefeuilles dans la vallée ce matin, lorsque j’étais debout à la fenêtre du comptoir, » dit-elle.

D’étranges paroles comme celles-là percent plus cruellement que l’acier le cœur de la personne aimante qui les entend. Elles paraissent peut-être romantiques dans un livre ; dans la vie réelle, elles sont accablantes.

« Ma chère, me reconnaissez-vous ? dit mistress Pryor.

— Je suis entrée peur appeler Robert à déjeuner : je suis allée avec lui au jardin ; il m’avait priée de l’accompagner. Une forte rosée a rafraîchi les fleurs ; les pêches mûrissent.

— Ma chérie ! ma chérie ! répéta de nouveau la garde-malade.

— Je pensais qu’il faisait jour, que le soleil était levé depuis longtemps : il fait sombre ; est-ce que la lune n’est pas couchée ? »

Cette lune, qui venait de se lever, brillait sur elle de sa lumière pleine et douce ; flottant dans l’espace azuré et sans nuage, elle semblait veiller la malade.

« Alors ce n’est pas le matin ? je ne suis pas au cottage ? Qui est là ? Je vois quelqu’un à mon chevet.

— C’est moi, c’est votre amie, votre garde, votre… Appuyez votre tête sur mon épaule ; revenez à vous. (À demi-voix :) Oh ! mon Dieu, ayez pitié d’elle ! donnez-lui la vie et à moi la force. Envoyez-moi le courage, inspirez mes paroles. »

Quelques minutes se passèrent dans le silence ; la malade reposait muette et immobile dans les bras tremblants, sur le cœur agité de la garde.

« Je suis mieux maintenant, murmura à la fin Caroline, beaucoup mieux ; je sens où je suis : c’est mistress Pryor qui est près de moi. Je rêvais ; je parle lorsque je m’éveille de mes songes : c’est souvent l’habitude des malades. Comme votre cœur bat fort, madame ! Ne vous alarmez pas.

— Ce n’est pas la crainte, mon enfant ; mais seulement un peu d’anxiété, qui se passera. Je vous ai apporté un peu de thé, Cary ; votre oncle l’a préparé lui-même. Vous savez qu’il se dit capable de préparer une tasse de thé mieux que la plus habile ménagère. Goûtez-le. Il est affligé d’apprendre que vous mangez si peu : il serait heureux de vous voir un meilleur appétit.

— J’ai soif ; donnez-moi à boire. »

Elle but avidement.