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plus dilatée, ses joues semblaient plus roses et plus pleines que de coutume, « J’ai bonne mine, disait-elle ; pourquoi ne puis-je pas manger ? »

Elle sentait son pouls battre plus fort dans ses tempes ; elle éprouvait aussi dans son cerveau une étrange activité. Son imagination était exaltée ; mille pensées actives et rompues, mais brillantes, remplissaient son esprit.

Puis vint une nuit brûlante et sans sommeil. Une soif inextinguible la torturait. Vers le matin, un rêve terrible la saisit comme ferait un tigré : en s’éveillant, elle sentit et vit qu’elle était malade.

Comment elle avait gagné la fièvre (car c’était la fièvre), elle ne pouvait le dire. Probablement, dans sa dernière promenade du cottage à la rectorerie, quelque brise empoisonnée et chargée de douce rosée et de miasmes avait passé dans ses poumons et dans ses veines, et, trouvant déjà là une fièvre d’excitation mentale, et une langueur produite par de longs tourments et une habituelle tristesse, avait fait jaillir la flamme de l’étincelle qui couvait, et avait laissé derrière elle un feu bien allumé.

Ce feu cependant paraissait assez bénin : après deux jours brûlants et deux nuits sans repos, il n’y eut plus aucune violence dans les symptômes, et ni son oncle, ni Fanny, ni le docteur, ni miss Keeldar, lorsqu’elle vint lui rendre visite, n’eurent aucune crainte pour sa vie. Tous croyaient que quelques jours suffiraient à la rétablir.

Les quelques jours se passèrent, et, quoique l’on crût toujours que la guérison ne se ferait pas attendre, la convalescence n’avait pas commencé. Mistress Pryor, qui l’avait visitée chaque jour, étant dans sa chambre un matin, quinze jours après le début de la maladie, l’examina attentivement pendant quelques minutes : elle prit sa main, appuya son doigt sur le poignet ; puis, quittant tranquillement la chambre, elle alla dans le cabinet de M. Helstone, où elle demeura enfermée avec lui la moitié de la matinée. En revenant auprès de sa jeune malade, elle déposa son châle et son chapeau. Elle s’assit un instant à côté du lit, une main placée dans l’autre, se berçant doucement de côté et d’autre, dans une attitude et avec un mouvement qui lui étaient habituels. À la fin elle dit :

« J’ai envoyé Fanny me chercher à Fieldhead quelques petites choses dont j’aurai besoin pendant un court séjour ici : je désire demeurer avec vous jusqu’à ce que vous alliez mieux. Votre