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traits de son frère ; sa bouche et son menton avaient la même forme que ceux de sa sœur, et n’avaient pas la régularité de ceux du jeune manufacturier. Son air, quoique délibéré et réfléchi, pouvait à peine passer pour prompt et ingénieux. On éprouvait, en le regardant, une impression calme qui faisait croire qu’il possédait une plus lente, et probablement plus bénigne nature, que son frère aîné.

Robert, sachant peut-être que le regard de Caroline s’était porté sur lui, bien qu’il ne l’eût pas rencontré et n’y eût pas répondu, ferma le livre qu’il tenait, et s’approchant, prit un siége à côté d’elle. Elle reprit sa conversation avec Louis : mais pendant qu’elle lui parlait, ses pensées étaient ailleurs ; son cœur battait du côté dont elle détournait à moitié la tête. Elle reconnaissait en Louis un air ferme, viril et bienveillant, mais elle s’inclinait devant la puissance secrète de Robert. Sa présence, bien qu’il gardât le silence, qu’il ne touchât pas même la frange de son écharpe ou le bord de sa robe blanche, l’électrisait. Si elle avait été obligée d’adresser la parole à lui seul, elle eût été embarrassée ; mais, libre de s’adresser à un autre, la vue de Robert l’excitait. Sa parole coulait librement : elle était gaie, joyeuse, éloquente. Le regard indulgent et la contenance placide de son auditeur la mettaient à l’aise ; le plaisir sobre exprimé par son sourire l’engagea à déployer tout ce qu’il y avait de brillant dans sa nature. Elle sentait que ce soir-là elle paraissait à son avantage, et, comme Robert était spectateur, cette pensée la remplissait de contentement. S’il se fût éloigné, l’affaissement eût suivi de près le stimulant.

Mais son bonheur ne fut pas longtemps complet ; un nuage vint bientôt le traverser.

Hortense, qui pendant quelque temps avait été occupée d’ordonner le souper, et qui débarrassait en ce moment la petite table de quelques livres, afin de faire de la place pour le thé, appela l’attention de Robert sur le vase de fleurs, dont le carmin, la neige et l’or des pétales brillaient à la lumière d’un éclat extraordinaire.

« Elles viennent de Fieldhead, dit-elle ; on les a envoyées à votre intention, sans doute : nous savons qui est là le favori ; pas moi, certainement. »

C’était chose étonnante que d’entendre plaisanter Hortense : il fallait qu’elle fût ce jour-là dans sa plus belle humeur.

« Cela veut dire que Robert est le favori ? demanda Louis.