Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comique d’entendre ce vigoureux petit jacobin enfermé dans une robe de mousseline répéter les récriminations de son père dans son nerveux dialecte dorique. N’étant pas méchante par sa nature, son langage n’était pas si amer qu’il était fort, et sa petite figure expressive donnait à chaque phrase un piquant qui captivait l’intérêt de celle qui l’écoutait.

Caroline la gronda lorsqu’elle dit du mal de Wellington ; mais elle écouta avec plaisir la tirade suivante sur le prince régent. Jessie vit bientôt à l’éclat des yeux de son interlocutrice, au sourire qui se jouait sur ses lèvres, qu’enfin elle avait abordé un sujet qui lui plaisait. Plus d’une fois elle avait entendu parler, à la table de son père, du gras Adonis de cinquante ans, et elle répétait les commentaires de M. Yorke sur ce thème aussi bien que ce dernier lui-même eût pu le faire.

Mais, Jessie, je n’écrirai pas un mot de plus sur vous. Je trace ces lignes par un soir d’automne, froid et sombre. Il n’y a qu’un nuage au ciel, mais il le voile d’un pôle à l’autre. Le vent ne peut s’apaiser : il court en gémissant sur ces tristes montagnes, perdues dans la brume du crépuscule et le brouillard. La pluie a battu tout le jour cette tour d’église : elle s’élève sombre au milieu de l’enceinte de pierre de son cimetière ; les orties, les longues herbes, les tombes sont baignées dans l’humidité. Ce soir m’en rappelle trop vivement un autre : certains personnages, qui avaient accompli le jour même un pèlerinage à un tombeau nouvellement creusé dans un cimetière hérétique, étaient assis autour d’un feu de bois, devant le foyer d’une maison étrangère. Ils étaient gais et enjoués : mais chacun d’eux savait qu’un vide qui ne serait jamais rempli venait, de se faire dans leur cercle, qu’ils avaient perdu quelqu’un dont toute leur vie ils déploreraient l’absence ; ils savaient que la pluie tombait sur la terre humide qui couvrait leur chère enfant, et que l’ouragan faisait entendre ses tristes gémissements au-dessus de sa tête ensevelie. Le feu les réchauffait ; la vie et l’amitié répandaient encore sur eux leurs bienfaits : mais Jessie gisait, froide, ensevelie, solitaire, n’ayant contre l’orage d’autre protection que la terre qui la recouvrait.