Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne pouvait même pas parer les flèches : elle se trouvait sans défense pour le moment. Répondre, c’eût été avouer que le coup avait porté juste. Mistress Yorke éprouvait du plaisir à la voir là assise, les yeux baissés, les joues brûlantes, et exprimant par son attitude abattue, et par un tremblement qu’elle ne pouvait réprimer, toute l’humiliation et le chagrin qu’elle éprouvait. Cette étrange femme avait une antipathie naturelle pour les caractères timides et impressionnables, les tempéraments nerveux ; une jolie, délicate et jeune figure, n’était rien moins qu’un passe-port auprès de son affection. Rarement elle rencontrait ces qualités qu’elle détestait réunies dans la même personne. Plus rarement encore elle trouvait cette personne à sa merci, et dans des circonstances où elle pouvait l’écraser sans pitié. Cette après-midi, elle se trouvait tout spécialement bilieuse et morose ; elle fit une nouvelle charge.

« Votre cousine Hortense est une excellente sœur, miss Helstone. Les ladies qui viennent au cottage de Hollow pour essayer de la chasse au mari peuvent, par un artifice très-peu habile, cajoler la maîtresse de la maison, et avoir tout le gibier dans leurs propres mains. Vous aimez la société de votre cousine, miss ?

— Hortense a toujours été très-aimable pour moi.

— Une sœur qui a un frère célibataire est toujours trouvée aimable par ses amies à marier.

— Mistress Yorke, dit Caroline, levant lentement ses yeux dont la prunelle bleue brillait maintenant d’un éclat ferme et vif, en même temps que ses joues avaient repris leur pâleur habituelle ; mistress Yorke, puis-je vous demander ce que vous entendez par là ?

— Vous donner une leçon sur la culture de la rectitude ; vous donner le dégoût de l’artifice et du faux sentimentalisme.

— Ai-je besoin de cette leçon ?

— Un grand nombre de nos jeunes ladies modernes en ont besoin. Vous êtes tout à fait une jeune ladie moderne, maladive, délicate, professant l’amour de la solitude ; ce qui implique, je suppose, que vous trouvez peu de choses dignes de vos sympathies dans le monde ordinaire. Le monde ordinaire, les simples et honnêtes gens, sont meilleurs que vous ne le pensez, bien meilleurs que n’importe quelle liseuse de livres et faiseuse de romans qui montre à peine son nez sur le mur du jardin de son oncle le recteur.