Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main : peut-être pendant une minute vous pourrez vous asseoir à son côté.

— Silence ! » dit-elle sévèrement à son imagination ; mais elle aimait la consolatrice et la consolation.

Miss Moore aperçut probablement de la fenêtre, à travers les buissons touffus du jardin, la robe blanche de Caroline, car elle alla au-devant d’elle jusqu’à la porte extérieure du cottage. Elle se tenait droite, roide et flegmatique comme de coutume ; elle ne se permit aucun empressement, aucune vive démonstration de joie qui pût compromettre la dignité de sa démarche ; mais elle sourit en voyant le plaisir qu’éprouvait son élève, en recevant ses embrassements chaleureux et tendres. Elle la conduisit affectueusement à l’intérieur, à moitié trompée, et tout à fait flattée. À moitié trompée, car, s’il n’en eût pas été ainsi, elle l’aurait probablement poussée dehors au lieu de la faire entrer. Si elle avait su pour qui était la plus forte part de la joie enfantine que montrait Caroline, Hortense eût été très-probablement choquée et irritée. Les sœurs n’aiment pas que de jeunes filles soient amoureuses de leurs frères. Quelle que soit l’affection fraternelle qu’elles ont pour eux, elles ne peuvent les aimer d’amour, et elles éprouvent un pénible sentiment à la pensée que d’autres les aiment. Le premier mouvement qu’excite chez elles une pareille découverte (comme chez beaucoup de parents lorsqu’ils s’aperçoivent que leurs enfants aiment) est un sentiment d’impatience et de mépris. La raison, s’ils sont raisonnables, corrige avec le temps cette fausse impression ; mais s’ils ne le sont pas, elle subsiste toujours, et la fille ou la belle-sœur demeure jusqu’à la fin l’objet de leur aversion.

« Vous avez dû vous attendre à me trouver seule, d’après le contenu de ma lettre, dit miss Moore en conduisant Caroline au parloir ; mais je l’ai écrite ce matin ; depuis le dîner il m’est arrivé de la compagnie. »

Et, ouvrant la porte, elle permit d’apercevoir une ample étendue de jupes cramoisies couvrant entièrement la chaise à bras placée au coin du feu, et au-dessus de ces jupes, présidant avec dignité, un bonnet plus imposant qu’une couronne. Ce bonnet n’était jamais arrivé au cottage sous un chapeau ; non, il avait été apporté dans un vaste sac, ou plutôt un ballon de soie noire de moyenne grandeur tendu avec des baleines. La garniture du bonnet se développait sur une largeur