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reproches à sa moindre manifestation, est-ce que leur fatigue ne finirait pas par se changer avec le temps en frénésie ? Lucrèce, filant à minuit au milieu de ses suivantes, et la femme vertueuse de Salomon, sont souvent citées comme les modèles de ce que le sexe (comme ils disent) devrait être. Je n’en sais rien ; Lucrèce, j’ose le dire, était une fort digne sorte de personne, ressemblant beaucoup à ma cousine Hortense Moore ; mais elle faisait veiller ses servantes fort tard. Je n’aurais pas aimé être au nombre de ses filles. Hortense se conduirait absolument de même envers moi et Sarah, si elle le pouvait, et nous ne pourrions le souffrir ni l’une ni l’autre. La « femme vertueuse » avait toute sa maison sur pied à minuit ; elle servait le déjeuner avant une heure du matin ; mais elle avait autre chose à faire que de filer et de distribuer des portions : elle était manufacturière, elle fabriquait de la toile et la vendait ; elle s’occupait d’agriculture, elle achetait des domaines et plantait des vignes. Cette femme était une ménagère : c’était ce que nos matrones appellent une femme habile. En somme, je la préfère de beaucoup à Lucrèce ; mais je crois que ni M. Armitage ni M. Sykes n’eussent eu l’avantage sur elle dans un marché ; cependant je l’aime. « La force et l’honneur étaient ses vêtements ; elle possédait la confiance de son époux. La sagesse parlait par sa bouche ; sur sa langue était la loi de douceur : ses enfants croissaient en la bénissant ; son mari aussi chantait ses louanges. » Roi d’Israël, votre modèle de la femme est un admirable modèle ! mais sommes-nous, de nos jours, élevées pour lui ressembler ? Hommes du Yorkshire ! vos filles atteignent-elles à ce royal modèle ? Pouvez-vous leur donner un champ dans lequel leurs facultés puissent s’exercer et se développer ? Hommes d’Angleterre ! regardez vos pauvres filles, dont beaucoup s’étiolent autour de vous, dévorées par la consomption, ou, ce qui est pire, dégénérant en aigres vieilles filles, envieuses, médisantes, misérables, parce que la vie est pour elles un désert, ou, ce qui est le pire de tout, réduites à chercher par la coquetterie et de méprisables artifices à gagner par le mariage cette position que l’on refuse au célibat. Pères de famille, ne pouvez-vous changer cet état de choses ? Non peut-être tout à coup ; mais examinez sérieusement ce sujet lorsqu’il vous sera soumis ; recevez-le comme un thème digne de considération ; ne le rejetez pas avec une sotte plaisanterie ou une insulte indigne d’un homme. Vous voudriez