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révélée. Si elle avait dans la tête l’organe de l’acquisitivité un peu plus développé, un peu plus de l’amour de la propriété dans sa nature, elle prendrait une large feuille de papier et écrirait simplement, de son écriture singulière, mais claire et lisible, l’histoire qui lui a été racontée, le chant qui a retenti à son oreille, et elle posséderait ainsi ce que son imagination a été capable de créer. Mais elle est paresseuse, elle est insouciante et fort ignorante, car elle ne sait pas que ses rêves sont rares, ses sensations toutes particulières : elle ne connaît pas, elle n’a jamais connu et elle mourra sans connaître toute la valeur de cette précieuse source, dont le brillant et frais bouillonnement entretient dans son cœur une éternelle verdure.

Shirley prend aisément la vie : ce fait n’est-il pas écrit dans son œil ? Dans ses moments de bonne humeur, cet œil n’est-il pas aussi rempli de paresseuse douceur, que dans ses courts accès de colère il est rempli de feu ? Sa nature est dans son œil : lorsqu’elle est calme, l’indolence, l’indulgence, la gaieté et la tendresse, se lisent dans ce large globe gris ; qu’elle s’anime, un rouge éclair perce la rosée, il jette des flammes.

Avant que le mois de juillet fût passé, miss Keeldar serait probablement partie avec Caroline pour le tour qu’elles avaient projeté ; mais, précisément à cette époque, une invasion tomba sur Fieldhead : une armée de touristes assiégea Shirley dans son château et la força de se rendre à discrétion. Un oncle, une tante et deux cousines du Midi, M…, mistress et les deux misses Sympson, de Sympson-Grove, vinrent lui rendre visite. Les lois de l’hospitalité lui firent un devoir de renoncer à son projet, ce qu’elle fit avec une facilité un peu surprenante pour Caroline, qui savait combien elle était prompte à agir et fertile en expédients, lorsqu’il s’agissait de faire triompher sa volonté. Miss Helstone lui exprima même son étonnement de la voir se soumettre si facilement. Elle répondit que de vieux sentiments avaient leur pouvoir : elle avait passé deux années de sa première jeunesse à Sympson-Grove.

Miss Helstone lui demanda quelle était son affection pour ces parents.

Elle n’avait rien de commun avec eux, répliqua-t-elle ; le petit Harry Sympson, il est vrai, ne ressemblait nullement à ses sœurs, et elle avait eu autrefois une grande amitié pour lui ; mais il ne venait pas dans le Yorkshire, du moins pas encore.

Le dimanche suivant, le banc d’honneur de l’église de Briar-