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mineurs à l’œuvre sous les pas de Moore, et, soit qu’il fût à cheval ou à pied, soit qu’il traversât seulement son comptoir ou qu’il galopât sur le triste marais de Rushedge, il entendait un creux écho et sentait la terre trembler sous ses pas.

Tandis que l’été se passait ainsi pour Moore, comment s’écoulait-il pour Shirley et Caroline ? Visitons d’abord l’héritière. À qui ressemble-t-elle ? À une fille abandonnée, pâle et se desséchant pour un infidèle amoureux. Demeure-t-elle tout le jour assise et courbée sur quelque tâche sédentaire ? A-t-elle continuellement un livre à la main ou un travail de couture sur son genou, des yeux seulement pour cela, des mots pour rien, et des pensées qu’elle n’exprime pas ?

En aucune façon. Shirley est parfaitement bien. Elle n’a perdu ni l’air pensif de sa physionomie ni son nonchalant sourire. Elle égaye le vieux et sombre manoir par sa présence. La galerie et les chambres qui y aboutissent ont souvent retenti des joyeux échos de sa voix. Elle a accoutumé au frôlement de sa robe de soie le corridor sombre à une seule fenêtre, qu’elle traverse à chaque instant d’une chambre à l’autre, tantôt portant des fleurs dans le barbare salon fleur de pêcher, tantôt entrant dans la salle à manger pour en ouvrir les fenêtres afin d’y laisser pénétrer les senteurs de la mignonnette et de l’églantier, d’autres fois portant au soleil, à la porte du porche, les plantes qui étaient sur la fenêtre de l’escalier.

De temps à autre elle prend son travail d’aiguille ; mais, par quelque fatalité, il ne lui arrive jamais d’y travailler pendant plus de cinq minutes de suite. À peine a-t-elle apprêté son dé et enfilé son aiguille, qu’une pensée soudaine l’appelle à l’étage supérieur ; peut-être pour chercher quelque étui à aiguilles en ivoire dont elle vient de se souvenir, ou une vieille boîte à ouvrage dont elle n’a aucun besoin, mais qui lui semble pour le moment indispensable ; peut-être pour arranger ses cheveux, ou remettre de l’ordre dans un tiroir qu’elle se rappelle avoir laissé le matin dans un curieux état de confusion ; peut-être seulement pour regarder certaines vues, d’une certaine fenêtre d’où l’on découvre l’église et la rectorerie de Briarfield, agréablement ensevelies sous les arbres. À peine est-elle revenue et a-t-elle repris sa bande de batiste ou son canevas, que le grattement violent et le sifflement étranglé de Tartare se font entendre à la porte du porche, et il faut qu’elle coure lui ouvrir. Il fait très-chaud ; il revient pantelant ; il faut qu’elle