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naire, particulier comme tous ses mouvements, et, lorsqu’elles atteignirent Fieldhead, elle était tout à fait redevenue elle-même : son extérieur avait repris son aspect calme et timide.




CHAPITRE XXI.

Deux vies.


Moore n’avait montré que la moitié de sa résolution et de son activité dans la défense de sa fabrique : il montra l’autre moitié (et c’était la plus terrible) dans l’infatigable et impitoyable ardeur avec laquelle il poursuivit les meneurs de l’émeute. Il laissa la foule tranquille : peut-être un sentiment inné de justice lui disait-il que des hommes égarés par de mauvais conseils et poussés par les privations n’étaient pas dignes de sa vengeance, et que celui qui fait tomber sa colère sur un homme courbé sous la souffrance est un tyran et non un juge. Dans tous les cas, bien qu’il en connût un grand nombre, les ayant parfaitement remarqués dans la dernière partie de l’attaque, quand le jour commençait à poindre, il les laissait passer chaque jour à côté de lui, sans leur adresser aucune parole ni aucune menace.

Il ne connaissait pas les chefs. C’étaient des étrangers, des émissaires des grandes villes. Beaucoup n’étaient pas des membres de la classe ouvrière ; c’étaient des débauchés, des banqueroutiers, des hommes toujours dans les dettes et souvent dans la boisson, des hommes qui n’avaient rien à perdre et avaient beaucoup à gagner sous le rapport de l’argent et de la propreté. Ces hommes, Moore les chassait comme un chien chasse le gibier ; et cette occupation lui convenait : son excitation plaisait à sa nature ; il l’aimait mieux que de faire du drap. Son cheval devait haïr ce temps-là, car il était monté rudement et souvent : Moore vivait presque sur les routes, et l’air frais était aussi bienvenu à ses poumons, que la visite du policeman à son humeur : il le préférait à la vapeur des teintureries ; les magistrats du district devaient le craindre ; c’étaient des hommes lents et timides. Il aimait à les forcer de trahir